Nantaise d’adoption, Jamie Schler est une passionnée de la gastronomie. Depuis près de 25 ans, elle goûte, rissole, enfourne, blanchit, caramélise des plats d’inspiration française et américaine, toujours à la recherche d’une saveur qui rassemble. Une fois le piano de la cuisine utilisé, elle se met au clavier de son ordinateur pour partager ses expérience culinaires sur son blog Life’s a Feast. Entretien avec l’épicurienne pour parler culture, traditions et gastronomie.
Quelle a été votre première impression de la culture française?
Jamie Schler: Je suis venue en France pour la première fois à Paris, l’été 1985, à la recherche d’une nouvelle vie. J’ai tout de suite été fascinée par les marchés. J’ai aussi été surprise de la relation que les gens entretenaient avec la nourriture. Ils choisissaient leurs produits et les mettaient dans des sacs en papier… Ce que nous ne faisons pas aux Etats-Unis ! Les queues devant les boulangeries, toute la scène des cafés et des bistrots… Je vivais à New York, une autre ville gastronomique, mais complètement différente. A Paris, les rues sont remplies de personnes en train de manger ! La qualité de la nourriture et toute cette vie sociale autour des repas m’ont également marqué. Aux Etats-Unis, il me semblait que la nourriture était très planifiée : les courses, les dîners entre amis… A Paris, tout est à proximité. Ça me semblait donc beaucoup plus spontané, convivial, moins organisé. J’ai un regard bien différent aujourd’hui, mais à l’époque, tout me semblait passionné.
A l’étranger, la gastronomie française est souvent réduite aux baguettes, aux cuisses de grenouille et au camembert. Comment imaginiez-vous la gastronomie française avant de la connaître ?
JS: J’ai grandi dans une ville du sud des Etats-Unis qui n’avait rien de français. Le seul contact que j’avais avec la France c’était au club de français du lycée, où quelqu’un préparait un coq-au-vin pour le dîner, ou l’un de nos professeurs nous apprenait à faire des croissants avec de la pâte toute prête ! A l’époque, je pensais que c’était le sommet du luxe et de la sophistication ! Quand je me suis installée à New York, j’ai travaillé pour un Français et j’ai commencé à comprendre ce qu’étaient une boucherie et une boulangerie. J’étais une étudiante sans le sou qui commençait à travailler et c’était inaccessible. Aux Etats-Unis, il faut avoir de l’argent pour manger français ! Je me souviens avoir été dans un petit magasin pour acheter un poulet rôti. Le fait qu’il était français rendait un aliment simple, un peu moins simple ; pour moi, c’était la vraie sophistication.
Que représente la gastronomie française pour vous aujourd’hui?
JS : Mon impression a vraiment changé. J’en vois deux côtés. J’ai épousé un Français qui vient d’un milieu humble et traditionnel. Ses parents étaient propriétaires d’un petit commerce, donc les enfants devaient aider à la cuisine. Des repas chauds étaient servis à table chaque jour et tout le monde se retrouvait pour le déjeuner et le dîner. Mon mari cuisine et m’a énormément appris sur les traditions françaises, complètement différentes de celles que je connaissais. Je pense qu’au fil des années, je comprends les passerelles dans cette culture, surtout en tant que journaliste gastronomique. Il y d’une part cet aspect très Guide Michelin et « haute cuisine », et d’autre part cette cuisine familiale et traditionnelle. Je comprends maintenant comment les deux se rejoignent, la manière dont ils forment une seule entité, et comment ils sont accessibles pour quelqu’un comme moi. Je comprends également toutes les traditions et l’histoire derrière la nourriture à travers l’histoire de ce pays dans lequel je vis depuis 25 ans.
En votre opinion, quels éléments représentent la culture et la gastronomie française?
JS : Le terroir. Cette proximité à la terre, au pays et à l’océan. Cette proximité avec le passé, également, car les Français sont très liés à leurs traditions. Je pense que ça vient du fait de cultiver, d’élever et de chasser les ingrédients. Ça a beaucoup à voir avec la famille, très terre-à-terre et basique. Les Français sont proches de leur nourriture à travers leurs traditions familiales et l’origine des produits.
Existe-il un art de vivre à la française très différent de celui des Etats-Unis ?
JS : Oui. Je vois beaucoup d’aspects positifs à ce propos mais je remarque aussi une évolution vers quelque chose de négatif et très dangereux. En tant qu’étrangère et initiée, je remarque qu’il y a toujours une tradition autour de la nourriture, dans la manière de la partager, la servir et la déguster. Les gens y sont toujours attachés. D’un autre côté, j’ai l’impression qu’il y a eu une rapide poussée vers la modernisation, les supermarchés et le packaging. Pour la culture, ça a peut-être été trop rapide. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens ne sont plus capables de reconnaître la vraie qualité des aliments, peut-être car ils consomment moins de plats préparés à la maison. Dans ce cas, il semble que les traditions sont plus automatiques que sincères.
Cependant, pensez-vous que l’on assiste à un changement, où l’on retourne à une cuisine plus saisonnière ?
JS : Oui, je le pense. Mon mari et moi-même avons déménagé en Italie en 1992 et sommes revenus en France en 1998. Durant cette période, nous n’aimions pas ce que nous voyions. Les marchés vendaient tous les mêmes fruits et légumes, à l’année. Ils commençaient à importer des produits du Chili et d’Afrique du Sud, au lieu de produire localement. C’est à ce moment-là que les gens ont arrêté de se rendre dans leurs magasins de quartier. C’était aussi le début des plats préparés et surgelés des supermarchés. Ceci-dit, ces dernières années, il y a définitivement eu un retour en arrière. Les consommateurs reviennent vers des fruits et légumes locaux, qui changent en fonction des saisons, achètent au commerçants de quartier, cuisinent à la maison. Je vois également une jeune vague de chefs qui traitent les produits et les ingrédients avec beaucoup plus de respect. Ce transfert est ressenti par le client. Peut-être que toutes ces émissions télévisées aident à ce changement. Nous revenons simplement à la cuisine !
Quel est votre plat français préféré ? Pourquoi ?
JS : Le premier, c’est la blanquette de veau. C’est un plat que j’ai toujours aimé, et un plat qui m’a toujours fasciné. C’est un peu devenu une obsession ! Avec mon mari, nous cherchons des recettes différentes, comme celles de Françoise Bernard, et essayons de faire la blanquette de veau la plus parfaite et la plus authentique. C’est un plat si confortant et satisfaisant. Le deuxième, c’est le pot-au-feu, que mon mari s’est récemment mis à cuisiner. J’en suis tombée amoureuse ! A mes yeux, un bon pot-au-feu, c’est la perfection!
Quelles habitudes françaises avez-vous adopté depuis que vous vivez en France ?
JS : J’ai appris à manger français ! Nous le faisons avec nos garçons, au déjeuner et au dîner. J’ai vraiment intégré cette cérémonie, la formalité de s’assoir avec sa famille au déjeuner et au dîner, pour le repas. Ça a vraiment changé la manière dont je mange.
En quoi la culture culinaire d’un lieu est-elle le reflet d’un pays? Comment cette culture diffère-t-elle entre la France et les Etats-Unis?
JS : C’est dur à expliquer! Je pense qu’aux Etats-Unis, il y a des poches de cultures culinaires durables, enracinées, mais dans l’ensemble, la cuisine est influencée par les tendances. Les tendances vont et viennent, les aliments vont et viennent, les manières de manger vont et viennent. La nourriture aux Etats-Unis, la manière dont on mange et ce que l’on mange est un choix, un choix de vie. En France, ce n’est pas le cas. Il y a des tendances, comme le macaron par exemple. Mais en France, la nourriture est moins un choix de vie qu’une manière de vivre : elle fait partie de la vie. D’une génération à la suivante, mes fils, les parents de mon mari et leurs parents, mangent pratiquement de la même manière et les mêmes aliments. Les tendances vont et viennent mais ne changent pas fondamentalement les bases des foyers français. Je pense que c’est la grande différence entre la France et les Etats-Unis.
Finalement, la gastronomie française en trois mots ?
JS : Terroir, tradition, sens.
Visuels : © Jamie Schler, de Life’s a Feast