(c) Bord Bia

Jean-Paul Jeunet : « Il faut arrêter de penser qu’il n’y a qu’en France que l’on fait de beaux produits. »

Président du Chef’s Irish Beef Club, chef doublement étoilé au Guide Michelin à la tête de son restaurant éponyme, ambassadeur des bonnes et des belles choses, Jean-Paul Jeunet est un épicurien abouti. Entretien avec le chef, à l’occasion de la Saint Patrick, pour parler d’une chose que nous pouvons envier à nos voisins irlandais : le bœuf Hereford.

Fils d’André Jeunet « grand cuisinier du terroir jurassien » et « meilleur sommelier de France », Jean-Paul Jeunet ne pouvait se prédestiner à autre chose que la cuisine. Il nait le 2 décembre 1954 à Arbois, part faire ses classes à l’école hôtelière de Nice, puis chez les Frères Troisgros à Roanne sous la houlette de Jean Troisgros, au Ritz à Paris et à La Marée de Monsieur Trompier. Il poursuit sa formation en pâtisserie chez Jean Millet, chez Gaston Lenôtre, puis termine au Relais de la Poste à Magescq chez Monsieur Cousseau. Il revient alors au restaurant familial durant quelques années en duo avec son père qui lui passe la main en 1988. Jean-Paul Jeunet abandonne le nom choisi par son père, Le Paris, et impose le sien. En 1996, il obtient une deuxième étoile Michelin. Depuis 2009, Jean-Paul Jeunet est président du Chef’s Irish Beef Club, association qui réunit les chefs qui travaillent et servent uniquement du bœuf irlandais à leurs tables. Le temps d’un entretien, il nous parle du Chef’s Irish Beef Club, de son amour de la viande Hereford et du Bocuse d’Or 2013

Qu’est-ce que le Chefs Irish Beef Club ?

Jean-Paul Jeunet: C’est un club international qui réunit les chefs qui travaillent le bœuf irlandais et plus particulièrement la race Hereford en France, au sein de leurs restaurants. Je choisis toujours le meilleur pour mes clients, quelle que soit la provenance et c’est pour cela que je me suis dirigé vers cette viande. En France, nous avons de très belles races, que ce soit la charolaise, la normande ou la limousine, pour ne citer qu’elles. Elles ont la particularité d’avoir de grandes carcasses et de produire du muscle. Pourtant, les viandes issues des grosses carcasses ne sont pas toujours les meilleures ni les mieux adaptées aux besoins des restaurateurs et des consommateurs. La Hereford, race irlandaise, est une viande ronde. Elle est de petit gabarit et de calibre régulier et se présente parfaitement crue ou cuite. J’ai toujours un immense plaisir à me rendre en Irlande et voir les élevages au plus près – même s’il existe des élevages de Hereford en France.

Comment sont élevées les bêtes en Irlande ?

J-PJ: La caractéristique des élevages et des pâturages irlandais est l’herbe et la proximité du terroir. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le vert soit la couleur emblématique de l’Irlande ! Les vaches sont dans des près à l’année, ce qui participe à la tendreté de leur viande (ndlr. La Hereford est une viande persillée. Cette race possède la capacité de transformer ce qu’elle mange en muscle et en réserves de gras. Ce gras s’accumule autour des muscles et s’infiltre à l’intérieur. C’est ce gras infiltré qui donne à la viande Hereford la douceur de son grain, son aspect persillé, donc sa tendreté et sa saveur.) J’ai aussi vu à quel point les éleveurs là-bas prenaient soin du bien-être des animaux dans les quatre étapes de la réalisation de la viande. Les vaches sont déjà élevées dans de très bonnes conditions à l’année. Ensuite, au moment de l’abattage, elles sont préparées et mises dans des conditions idéales pour éviter le stress qui changerait le ph de la viande. Ils leur mettent de la musique, elles sont brossées puis entièrement lavées afin de les détendre. Suite à l’abattage, même dans la manière de les accrocher et de les placer pour les conserver, tout est pensé pour permettre à la viande de rassir de manière exceptionnelle. Vous savez, quand j’étais petit, j’aimais me promener dans les ateliers du boucher du quartier. Je me souviens avoir vu des paniers remplis de tissus de couleur rouge. En fait, la femme du boucher pressait la viande pour en faire remonter le sang, afin d’attendrir la viande et faire remonter les saveurs. Des années plus tard, je me suis rendu dans un abattoir à Lisieux. Là-bas, les bêtes devaient monter des rampes de trois étages, ce qui est difficile, et devaient attendre leur tour 35 minutes dans des conditions exiguës  Leur viande était ensuite découpée puis rapidement séchée. Comment voulez-vous qu’il y ait une bonne maturation dans ces conditions ? Pour avoir une bonne viande, il ne faut négliger aucune des étapes qui mènent à l’assiette.

Ne faut-il donc plus privilégier le « Made in France » ?

J-PJ: Je vais vous raconter une anecdote. Je connaissais un jeune irlandais qui était venu faire des études en France, à l’ENIL. Il était venu apprendre les techniques de fabrication du fromage. A la fin de sa formation, il est retourné en Irlande et a importé une vache laitière, puis deux, et il a aujourd’hui un cheptel d’une dizaine de vaches. Il fabrique désormais du véritable comté, en Irlande, même s’il ne peut pas prétendre à l’appellation ou au nom exact. Ce comté est d’une aussi bonne qualité que celui produit en France. Comme quoi, la technique, et non la provenance, font la qualité.

Quelles sont les caractéristiques de la viande irlandaise ?

J-PJ: J’ai été subjugué par la tendreté et la rondeur de cette viande qui s’est avérée également facile à utiliser pour la restauration. La particularité de la viande irlandaise est qu’elle est ronde et petite, d’une tendreté, d’un goût et d’une qualité exceptionnels. Sur le plan technique, elle est très compacte et se coupe facilement en morceaux épais et est aussi idéale pour la maturation. Très tendre, le bœuf irlandais est très pratique à préparer et c’est un véritable plaisir de le travailler. Quant à sa qualité gustative, le bœuf irlandais est une « vraie » viande. Enfin, pour l’aspect visuel : quand je montre une pièce de bœuf irlandais à mes clients, avant ou après la cuisson, ça donne envie de la manger. La viande irlandaise est également d’une extrême diversité en cuisine : bouillie, rôtie ou simplement grillée, le résultat est toujours exceptionnel.

Quels autres produits irlandais utilisez-vous dans votre restaurant ?

J-PJ: Je ne travaille pas d’autres produits irlandais dans mon restaurant, je me concentre sur la viande de bœuf. En revanche, sur le porc, le porcelet ou l’agneau, on a de très beaux produits en France et j’ai de très bons fournisseurs en France.

Le bœuf irlandais est devenu viande officielle du Bocuse d’Or 2013. Que signifie cette reconnaissance ?

J-PJ: Déjà je félicite le candidat français Thibaut Ruggeri, car il est en adéquation avec le produit et il a réussi à présenter une viande remarquable et pas seulement au niveau de la texture. Il a certainement réussi grâce à sa technique mais aussi grâce à la qualité de la viande qui a été présentée au Bocuse d’Or. Cela prouve que quelle que soit la qualité de la viande, quelle que soit l’origine de la viande, l’important c’est ce qu’il y a dans l’assiette, ce qui va être dégusté. Le jury international a dégusté la technique mais il a aussi dégusté le goût. Si la viande n’avait pas été conforme, ou aussi bien reconnue pour son excellence, peut-être qu’elle n’aurait pas été sélectionnée aujourd’hui. D’autre part, le candidat français n’aurait peut-être pas eu 100% de réussite sur ce plat. Il faut arrêter de penser qu’il n’y a qu’en France que l’on fait de beaux produits, qu’il n’y a qu’en France que l’on fait des choses exceptionnelles. Il faut prendre exemple sur des produits, comme le bœuf irlandais, pour repenser notre manière de faire, qui est peut-être un peu trop empirique…

Visuels : © Jean-Paul Jeunet; Bord Bia.

Une réflexion au sujet de « Jean-Paul Jeunet : « Il faut arrêter de penser qu’il n’y a qu’en France que l’on fait de beaux produits. » »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.