(c) RDV Communication

Michel Fouchereau : « L’art du fromage, c’est contribuer à la bonne évolution d’un produit fini ».

Artiste du fromage, Michel Fouchereau l’est depuis sa plus tendre enfance, la passion se transmettant de génération en génération dans sa famille. Meilleur Ouvrier de France en 2004, l’artiste fromager  sélectionne et affine près de 200 produits à La Fromagerie d’Auteuil. Il nous ouvre les portes de sa boutique parisienne pour nous parler de l’évolution de son métier et des goûts des Français, nous donner des astuces pour composer un plateau de fromage à notre image et de l’art de déguster et d’affiner le fromage.

Quel est votre parcours ? Comment le fromage est-il devenu un métier ?

Michel Fouchereau: Je suis tombé dans le milieu du fromage tout petit. Mes grands-parents étaient déjà agriculteurs et producteurs de lait dans les Deux-Sèvres. Mes parents sont eux montés travailler à Paris et ont ouvert leur première fromagerie d’abord dans Paris, puis à Neuilly Sur Seine. Je suis donc né au cœur d’une fromagerie déjà existante. J’ai grandi au milieu des fromages en faisant des découvertes gustatives au fil des années. J’ai ensuite eu un parcours scolaire assez classique où je me suis dirigé vers la comptabilité. Mais je me suis rendu compte au bout de mes études que la comptabilité n’était pas forcément le choix de vie qui allait me plaire. J’avais envie de bouger, de faire plein de choses. Et la gourmandise était toujours aussi présente ! J’ai donc abandonné la comptabilité, qui m’a quand même beaucoup servie dans ma carrière professionnelle, et j’ai rejoins l’entreprise de mes parents. Là, j’ai approfondi mes connaissances du métier : comment travailler le fromage, l’affiner, en prendre soin, reconnaître les saveurs des différents types de produits, les textures et les familles, mais surtout connaître le goût typique d’un produit originel et apprendre à l’amener à un degré d’affinage qui soit le meilleur pour le consommateur.

Le métier de fromager affineur a-t-il évolué au fil des années ?

MF: Oui, tout à fait. L’ensemble de la profession s’est vraiment ancré vers un savoir-faire beaucoup plus prononcé qu’avant. On s’est recentrés sur un équilibre de produits de qualité, par rapport à la concurrence de la grande distribution et des produits fromagers de grande industrie. Il a fallu se démarquer par la qualité de nos produits et la qualité de notre travail. Cela a forgé le professionnel à devenir plus pointu : connaître son produit, son origine et la manière dont il est produit. Ça a vraiment tiré le métier par le haut. Les professionnels aussi sont beaucoup plus à l’écoute de ce qu’il se passe au sein de la profession. Par le biais de nos fédérations, il y a des formations pour les personnes qui débutent dans le métier : des découvertes de terroir et de différentes régions, des découvertes d’associations de fromages et différentes saveurs, des découvertes sur les différentes manières d’utiliser le fromage dans une journée. Que des éléments qui tirent le professionnel vers le haut. Il y a également un besoin de reconnaissance au niveau de la gastronomie française. Il s’y passe tellement de choses. La gastronomie est déjà reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO, pourquoi le fromage n’en ferait-il pas partie ? Nous sommes un pays de gastronomie, avec beaucoup d’histoire des régions. Pour beaucoup, ces régions sont liées à l’histoire de la France et du fromage. Il y a des régions où l’on élève des vaches, d’autres des brebis, d’autres des chèvres. Ce n’est pas anodin. C’est dû à un terroir et à une histoire, l’histoire ancestrale qui s’est déroulée dans ces régions. Et puis le format des produits, la façon des les fabriquer, tout ça est ancré dans la culture française.

Les goûts des français ont-ils également changé?

MF: Oui. Il y a eu une période où la reconnaissance organoleptique des consommateurs était un peu faussée par l’arrivée de la grande distribution et de produits nouveaux aseptisés au niveau du goût, avec beaucoup de pasteurisé, de produits sous vide. Et le lait en est à l’origine. Enfant, je ne connaissais que le lait cru vendu au détail. On allait à la ferme et on recevait notre dose de lait dans son petit pot. Le lait était consommé cru. Après, il y a eu la mode des laits pasteurisés, plus aseptisés au niveau du goût mais beaucoup plus faciles à conserver. La vie de la ménagère était facilitée car elle pouvait se permettre d’avoir du lait d’avance. Ainsi, toute cette génération qui a été élevée et qui a grandi avec ce goût moins prononcé a beaucoup de mal à reconnaître et identifier le vrai produit. En revanche, les consommateurs ont maintenant envie d’avoir un vrai produit. Nous avons donc une démarche qui est d’expliquer le produit, la typicité de son goût mais aussi d’essayer de comprendre l’envie du consommateur et la typicité de goût qui va flatter son palais. A partir de là, quand on a compris cela, on a une porte ouverte pour leur faire découvrir des produits qu’ils ne connaissent pas. Tout notre travail repose sur la communication et l’explication. Nous ne sommes pas là pour éduquer mais pour informer. Prenons l’exemple du camembert : un camembert au lait cru doit avoir une typicité de goût d’un moment de l’année à l’autre qui peut être complètement différente et une fleur extérieure qui peut radicalement varier. Aussi, un camembert qui a une fleur rouge, ce n’est pas parce qu’il est trop fait mais que dans la saison, il a pris plus de typicité qu’à un autre moment de l’année. Cette couleur fait donc partie de son réel état d’origine. Et il y a une vraie différence entre un camembert cru de Normandie, un AOP, dont le goût va être différent d’un moment de l’année à l’autre, à un camembert qui est pasteurisé, vendu toujours dans le même état en grande surface. C’est cela qu’il faut transmettre au consommateur.

Le métier de fromager-affineur a évolué, les habitudes des consommateurs aussi. Qu’en est-il des fromages en eux-mêmes ?

MF: On a des produits qui ont beaucoup moins de variantes qu’il y a vingt-cinq ou trente ans. Il y a trente ans, les camemberts étaient consommés presque exclusivement très affinés, très serrés, le croûtage était toujours un petit peu plus poussé et rouge et les fromages étaient relativement puissants. Maintenant, on a des fromages qui ont du caractère, mais qui sont plus admissibles au palais désormais un peu délicat.

Quels sont les fromages indispensables à un plateau?

MF: Ce que je préconise quand on veut faire un plateau simple et pas trop chargé, c’est de choisir la base des trois laits existants en majorité en France : un fromage au lait de chèvre, un fromage au lait de vache et un fromage au lait de brebis. Ensuite, selon les affinités de chacun, on peut choisir un fromage dans chaque famille. Par exemple, dans les fromages de chèvre on retrouve des fromages à pâte molle de type croûte fleurie, des fromages de chèvre à pâte pressée et des fromages de chèvre à pâte pressée à croûte lavée. Dans chaque famille, c’est la même chose. Si l’on veut faire des plateaux plus élaborés, on essaie de représenter sur le plateau l’ensemble des familles qui existent. On peut l’agrémenter d’un fromage frais, soit vache, chèvre ou brebis, d’un fromage de la famille des pâtes molles à croûte fleurie, soit vache, chèvre ou brebis, le compléter ensuite avec des fromages de la famille des persillés, roquefort ou bleu, avec toutes les familles des pâtes molles à croûte lavée, plus puissants, type Munster, Maroilles ou Livarot, et pourquoi pas avec les pâtes pressées, qui ne sont pas cuites, comme les cantals, les Salers, la Tome, les Laguiole ou les Saint Nectaire. Cela fait un beau choix de fromage ! Pour équilibrer l’ensemble, je recommande d’avoir un nombre impair plutôt qu’un nombre pair sur le plateau, simplement pour l’équilibre esthétique du plat. Ça peut être 1, 3, 5 ou 7 fromages ! Je suis un adepte des nombres impairs (Rires). On peut également simplement offrir en fin de repas un fromage unique, une belle pièce ou un fromage de saison. Il faut aussi essayer d’équilibrer la quantité de produit par rapport au nombre de convives qui sont à table. Tout dépend également de ce que le consommateur va en faire : si c’est un plateau d’apéritif, de fin de repas ou un plateau dînatoire. On essaie toujours de s’adapter aux conditions et au budget de chacun.


Finalement, existe-il un véritable art d’affiner et de déguster le fromage ?

MF: Oui, tout à fait, car on peut faire évoluer un produit de la meilleure comme de la pire façon qui soit. L’acte d’affiner un fromage, c’est l’accompagner de sa naissance à sa consommation. L’accompagner, c’est lui prodiguer les soins qui lui sont nécessaires au début de son évolution, le faire évoluer dans un climat atmosphérique qui soit équilibré, lui forger une croûte de surface qui soit la plus homogène possible, la plus saine possible et lui prodiguer les soins nécessaires. Il faut tous les 2 ou 3 jours, soit brosser le fromage à l’eau salée ou avec des alcools, pour lui permettre d’avoir une évolution de fleur soit le « laver ». Tout cela contribue à la bonne évolution du produit fini. Porter attention aux soins que l’on donne aux fromages permet normalement d’aboutir à un produit qui aura une qualité de goût sûre. Mais la fonction d’affineur varie d’un artisan à l’autre. On a tous nos façons de travailler l’affinage de notre produit et tous, détaillants fromagers à un autre, une perception gustative qui nous est propre. Il est possible que pour un même produit que l’on achète dans deux magasins différents, l’on obtienne un goût qui soit différent. Chacun essaie d’amener le produit au type de goût qu’il reconnaît et apprécie. Il y a vraiment un rapport avec la sensibilité de chacun, comme avec la sensibilité de chaque consommateur. L’un va apprécier un fromage de chèvre très affiné avec beaucoup de puissance et un peu d’acidité, de parfum et de caractère, et son voisin va préférer quelque chose de plus suave, de plus tendre et de plus crémeux pour le même type de produit. On forge également notre clientèle à notre image de marque, à ce qui nous ressemble. Forcément, on ne plaît pas à tout le monde. Chaque consommateur trouve la qualité de l’affinage qui lui convient le mieux. La qualité de l’affinage est très importante à tous les niveaux, de la température de conservation aux soins prodigues dans les caves. Le but du jeu est simple : d’avoir un produit fini de bonne qualité. C’est la réputation qui se met en jeu pour notre établissement mais aussi pour les producteurs que l’on distribue. Un producteur qui goûte l’un de ses produits vendus chez un fromager affineur et qui n’est pas vendu dans les bonnes conditions ne sera pas content. On est une filière. Si l’on veut bien travailler et bien représenter l’ensemble d’un terroir, il faut être rigoureux à tous les niveaux.

Visuels : © RDV Communication

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.