Damien Philippe : «Travailler avec des ramasseurs de morilles françaises, c’est un gage de qualité»

Champignon à la pousse capricieuse influencée par les conditions météorologiques, la morille est très appréciée dans la cuisine française, tant pour ses qualités esthétiques que gustatives. Champignon printanier par excellence, la morille figure aujourd’hui à la carte des plus belles adresses françaises. Entretien avec Damien Philippe, à la tête de la société Aux Champignons des Bois, qui nous parle de son métier, de sa relation étroite avec les ramasseurs de l’hexagone et de sa passion du beau produit.

Quel est le cœur de métier de votre société, Aux Champignons des Bois?

Damien Philippe : Aux Champignons des Bois ce sont deux entreprises. D’un côté, je gère le négoce en champignons sauvages, donc la revente de champignons sur Paris et à l’export. A la base, j’étais ramasseur de champignons. Je connais donc très bien ce milieu et j’ai eu beaucoup de contacts avec tous les ramasseurs en France sur toutes les variétés de champignons. De l’autre côté, mon père gère l’activité de production de champignons de carrière : champignons de paris, pleurotes et Shiitake.

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Vous êtes un passionné du « beau produit » ?

DP : On travaille avec une grande partie de la restauration parisienne haut de gamme et très haut de gamme, des restaurants étoilés comme celui de Frédéric Simonin ou les palaces. On base tous nos produits sur la qualité. Si le champignon est déclassé ou arrive en très grosse quantité, on dégage tout sur Rungis, sur le MIN de Lyon et le MIN de Clermont-Ferrand. La morille la plus qualitative est la morille française, typique du terroir de notre pays.

Nous sommes en pleine saison des morilles. Comment s’organise cette récolte ?

DP : En fait c’est exactement le même principe que pour la récolte des cèpes ou des girolles. On a des contacts avec des ramasseurs sur toute la France. Les ramasseurs vont m’appeler. Soit ils vont venir à l’un de nos dépôts, soit je vais me déplacer sur place quand ils ont ramassé une certaine quantité. Ensuite on fait le tri et le calibrage sur place, on regarde ce qui est bon et moins bon,  la valeur de telle ou telle qualité. Quand il y a de grosses quantités, on prend ce dont on a besoin et on envoie le reste sur Rungis.

(c) Aux Champignons des Bois

Quelle est la durée de la saison des Morilles ?

DP : Au niveau des dates, logiquement, la saison commence début/mi-avril et se termine mi-mai. C’est une période assez courte. Ensuite, ça dépend des régions. On peut jouer sur les régions pour commencer un peu plus tôt (sur les Pyrénées par exemple, où le choc thermique est plus rapide) et finir un peu plus tard (sur les Ardennes, par exemple, où il fait plus frais).  Cette année c’est très compliqué. La morille a besoin d’un choc thermique pour pousser. Une grosse quantité de neige, un déneigement, une mise en température à 20° et là normalement ça sort. Cette année, cela commençait bien car il y a eu beaucoup de neige. Mais il faut normalement un choc thermique derrière. Le gros souci que l’on a en ce moment, c’est que les températures ne remontent pas. Ce sont les aléas de la nature !

Les coins à champignons restent-ils toujours secrets ?

DP : (Rires) C’est rare qu’ils se disent ! J’ai quelques ramasseurs qui me disent leurs coins, proches de coins que je connais, mais ce sont des ramasseurs que je connais depuis une quinzaine d’années et qui savent très bien que je n’irais jamais ramasser dans leurs coins…

(c) Aux Champignons des Bois

Le commerce des champignons est donc avant tout une relation de confiance ?

DP : C’est exactement le même principe que de travailler avec du haut de gamme en restauration. Si vous avez confiance en le Chef, le Chef aura confiance en vous et ça fonctionnera. S’il y a le moindre problème,  la confiance est rompue et on n’en parle plus. C’est exactement comme ça. Le moindre faux pas et c’est terminé. C’est vraiment du long-terme et du relationnel à 100%.

Il existe aujourd’hui des fraudes à la truffe noire, la Tuber Mélanosporum. Est-ce un problème qui touche également la morille ?

DP : Pas tellement mais cela arrive. J’en connais certains qui rebaptisent le produit alors que ce sont des morilles de Turquie, d’Espagne ou d’autres pays où il y a de la morille. Tous les pays européens ont à peu près le même climat qu’en France, à quelques degrés près. Il est donc simple de trouver de la morille et de la frauder. Ceci dit, sur de la morille, il n’y a pas trop d’enjeux à gagner, contrairement à la truffe. De plus, il est difficile de frauder avec la morille, car c’est très voyant. Celui qui connaît le voit tout de suite à l’œil – la forme, la couleur – et à l’odeur, que le champignon ait été rebaptisé ou non.

Comment bien choisir la morille ?

DP : Le premier critère c’est d’avoir confiance, de bien connaître ses ramasseurs et de travailler exclusivement avec des ramasseurs français. C’est un véritable gage de qualité. Tout ce qui est en provenance de l’étranger, ils ne s’y connaissent pas et sont uniquement là pour faire de l’argent. On travaille beaucoup avec les retraités en fait. Pour eux, c’est un complément de leur retraite et pour nous, c’est la certitude d’avoir de la qualité dans le champignon que l’on veut. Sinon au niveau choix, ça se voit à l’œil. Si la morille est sèche, on ne la prend pas, ça veut dire qu’elle est déjà restée trois ou quatre jours sur place ou qu’elle a été ramassée il y a longtemps. Si elle est bien humide et bien fraîche, encore une fois ça se voit à l’œil, et là on prend. Après, il y a plusieurs variétés de morilles, la ronde ou la conique, la jaune ou la noire. Et finalement il y a le calibrage. C’est tout simple. Il faut surtout acheter de la morille déjà équeutée. Certains vous vendent de la morille avec des queues de 5 ou 6 centimètres qui font la moitié du poids du champignon. Vous payez donc plus cher pour moins de produit.

(c) Aux Champignons des Bois

Quelle est, pour vous, la meilleure manière de déguster les morilles ?

DP : Je pense que le mieux, c’est de les associer avec de la crème et de les déguster avec une côte de bœuf. Il faut faire attention à surtout bien faire revenir la morille, 30 à 40 minutes, car en dessous de ces durées de cuisson, vous êtes sur d’avoir des maux de ventre très douloureux. Car la morille crue est toxique. Attention donc à ceux qui ne le savaient pas !

Quelles morilles sont les plus gastronomiques ?

DP : Pour ma part, car bien évidemment cela dépend des goûts, les morilles jaunes, rondes et assez grosses vont avoir le plus de goût. Les petites morilles, c’est comme un champignon qui n’est pas à maturité. Il aura deux ou trois jours et n’aura pas beaucoup de goût. Si on prend une grosse morille jaune, qui a déjà quatre ou cinq jours de mise en terre, au moment où elle sortira, là elle aura du parfum. Donc on cherche en priorité les grosses morilles jaunes. Dans le sud de la France et en montagne, il y beaucoup de demandes pour ce genre de produit. Le problème de Paris, c’est que 90% de ce que l’on vend c’est de la petite. Au niveau parfum, ce n’est pas top mais ce que ces chefs veulent, c’est de la présentation. C’est sur que les petites morilles entières, au niveau de la présentation, c’est mieux que les grosses morilles. Après vous avez des exceptions. Frédéric Simonin, par exemple ou le Plaza Athénée savent très bien qu’une petite morille ce n’est pas top. On leur mettra alors un beau calibre moyen pour que le champignon soit beau à l’œil tout en ayant du goût. Il y a une quantité infime de chefs qui travaille ce produit-là. Ce n’est donc pas évident ! Ce sont des chefs avec qui je travaille depuis de nombreuses années et qui connaissent la qualité du produit. C’est à l’image des relations avec les ramasseurs : ce n’est que de la confiance.

Visuels : © Champignons des Bois