La gastronomie Savoyarde, la gourmandise au sommet

Quand vient le mois de février, alors que les flocons ont pris leurs quartiers d’hiver sur les pistes, les montagnes, elles, sont prises d’assaut par les touristes et les stations alpines deviennent les stars de la saison. Même si chacun n’est pas un adepte de la glisse, de la randonnée ou des raquettes, il est un élément de la montagne qui réussit à mettre tout le monde d’accord : la gastronomie. Focus sur les spécialités de la Savoie.

La plaisir de la table est ancré dans le patrimoine gastronomique savoyard. Fromages, charcuterie et produits vinicoles, le terroir est riche et adapté aux rigueurs du climat montagnard. Plus qu’un patrimoine culturel, la gastronomie savoyarde a depuis longtemps dépassé les hauts sommets des Alpes pour régaler tous les gourmands de l’Hexagone.

A l’origine de la cuisine savoyarde, trois traditions. La première vient du monde rural et des paysans : autrefois, la nourriture quotidienne était celle de tous les pays pauvres et de climat rude (frugale, simple, solide, consistante et calorifique) et le régime ordinaire se composait de soupes, de légumes du jardin, de pommes de terre, de pâtes (les crozets), de polenta, de viande de porc et de chèvre salée, de pain et de fromages, les paysans ayant à disposition des pâturages verdoyants pour produire leur nourriture. Deuxième origine possible : ce serait Maître Chicard, cuisinier à la Maison de Savoie et Brillat Savarin, qui auraient érigé la cuisine savoyarde paysanne en cuisine raffinée. La dernière tradition viendrait des aubergistes qui accueillaient des visiteurs de passage vers l’Italie et permettaient ainsi le métissage des produits les plus divers avec les denrées locales. Ces déplacements seraient à l’origine du farçon et de la polenta (voir les plats traditionnels ci-dessous).

Aujourd’hui, la cuisine savoyarde est trop souvent réduite à la tartiflette, la fondue et la raclette – un tort puisque ces plats ont été importés de Suisse au XXème siècle. La gastronomie savoyarde se compose de plats traditionnels goûteux et symboliques d’une région de montagne :

  • le farçon : spécialité salée-sucrée à base de pain ou de pomme de terre est propre à chaque village. Il se disait autrefois qu’il y avait « Autant de farçons que de villages, autant de farçons que de cuisinières », tant le goût, la couleur, la forme et les ingrédients pouvaient varier selon le cuisinier.
  • la polenta : semoule de maïs, une spécialité d’origine italienne qui a été importée par les nombreux travailleurs italiens présents dans la vallée de Pô au XIXème. Cuite, la polenta devient une purée qui se marie parfaitement avec une viande en sauce : civet de lapin, bœuf bourguignon…
  • les crozets : petites pâtes carrées à base de farine de blé ou de sarrasin. Ils se dégustent en gratin ou à la crème. Autrefois, les femmes les fabriquaient elles-mêmes et les réservaient pour le dimanche.
  • les pormoniers : saucisses de porc et de légumes verts (poireaux, bettes, choux..). Là encore, il existe autant de pormoniers que de familles, tant la quantité et le type de légumes utilisés font varier le goût de cette saucisse.
  • la fricacha de caïon : fricassée de cochon
  • le gratin savoyard : gratin de pommes de terre fabriqué sans crème, ni lait mais avec du bouillon (l’ancêtre de notre fameux gratin dauphinois)
  • les rissoles : beignets fourrés à la confiture ou aux pommes (en morceaux ou en compote)
  • le gâteau de Savoie: un gâteau très léger à base de maïzena, de blanc d’oeufs, de sucre et d’un zeste de citron, créé à au XIIème siècle pour plaire à l’empereur qui voulait une gâteau « léger comme la plume ».

  • Mais venons-en à la star de la Savoie : le fromage. L’abondance du lait de vaches et de chèvres font du fromage un produit incontournable de cette gastronomie.
  • Il y a tout d’abord le Beaufort, fromage au lait cru et entier, au parfum fruité et aux arômes délicats. Récompensé en 1968 par un AOC, le Beaufort se déguste sous toutes ses formes : cuit, cru, à l’apéritif, dans une fondue ou ornant un plateau de fromage. Reconnaissable par son talon concave (en creux) et une plaque de caséine bleue apposée sur la croûte, le Beaufort provient exclusivement de vaches de races locales, la Tarine ou l’Abondance, qui se nourrissent d’herbe fraîche en été et de foin produit localement, durant l’hiver.

L’Abondance, une vallée et une vache, est aussi un fromage à la pâte souple et au léger goût de noisette. Ce sont les moines du monastère d’Abondance qui défrichèrent au Moyen-âge les terres de la vallée du Chablais et sélectionnèrent la race de vache pour donner naissance à ce succulent fromage. Le succès fut rapide puisque on retrouve l’Abondance à la table du Pape lors de son élection à Avignon en 1381.

Comment parler de fromages de Savoie sans évoquer l’emmental ! Sous sa croûte solide et sèche se cache une pâte lumineuse et onctueuse à la saveur douce. Avec ses mensurations impressionnantes, l’Emmental de Savoie fait partie de la famille des gruyères. Fabriqué dans l’Avant Pays Savoyard, chaque meule pèse près de 70 kg et nécessite plus de 1000 litres de lait. Consommé très souvent râpé, il est également l’un des composants de la célèbre fondue savoyarde.

Autre figure du plateau de fromage savoyard, le Reblochon. Ce petit fromage à la croûte safran et à la pâte onctueuse est né dans la vallée de Thônes au XIIIe siècle. AOC dès 1958, il est toujours produit dans une zone située au-dessus de 500 m d’altitude, en Haute-Savoie ainsi que dans le Val d’Arly en Savoie. Délicatement posée sur sa fine rondelle d’épicéa, il se déguste toute l’année, avec une préférence pour le printemps et l’été, lorsque les vaches sont à l’alpage.

La Raclette de Savoie évoque irrésistiblement les soirées d’hiver entre amis après une journée de ski. Et pourtant, dès le Moyen-âge, les bergers avaient coutume de consommer du « fromage rôti ». C’est seulement en 1874 que le terme de « raclette » fait son apparition pour ce fromage idéal à consommer fondu.

Dernier fromage – évoqué ici – issu de la région alpine, la Tomme de Savoie. C’est un fromage très ancien, que les fermiers avaient coutume de fabriquer l’hiver, lorsque les vaches étaient à l’étable. A partir de quelques litres de lait, chaque ferme élaborait le beurre, la crème et la tomme pour les besoins de la famille. Aujourd’hui, on en trouve de toutes sortes : tomme de montagne, tomme crayeuse, tomme céronnée…chacune cache sous sa croûte grise un arôme et un goût particulier.

Même si le fromage est évidemment un composant majeur de la gastronomie de montagne, la charcuterie est également inscrite depuis longtemps dans les traditions culinaires locales. Les spécialités ne manquent pas : saucisses ou diots, saucissons, jambons, pormoniers (saucisses de porc et de légumes verts)… Autrefois, chaque famille élevait un ou deux cochons pour sa consommation personnelle. Les bêtes passaient l‘été en alpage avant d’être engraissées et tuées en début d’hiver. La viande était ensuite conservée dans le sel ou dans la graisse pour être gardée plusieurs mois.

Les vins de Savoie accompagnent très agréablement les fromages, la charcuterie ou les plats traditionnels savoyards. Produits plus bas dans la plaine, ils sont très largement consommés dans la région. Les vins blancs constituent les 2/3 de la production : vin d’Apremont, de Chignin, des Abymes ou de Seyssel. Ils sont issus de deux cépages principaux : Jacquère et Altesse (ou Roussette). Les vins rouges sont davantage connus sous le nom de leurs cépages : Mondeuse, Gamay et Pinot noir.

Afin de goûter à toutes ces spécialités, l’un des emblèmes de la haute-gastronomie savoyarde se niche dans le domaine Les Trois Vallées, plus grand domaine skiable du monde, à Courchevel : l’hôtel Le Kilimandjaro. Depuis 1850, l’hôtel cinq étoiles fait le bonheur d’une clientèle en perpétuelle recherche de dépaysement et les gastronomes se ruent à La Table Du Kilimandjaro pour goûter à la cuisine des chefs Nicolas Sale et Glenn Viel. Le restaurant, dont la carte est rigoureuse et respectueuse des produits et des saisons, vient d’ailleurs d’obtenir sa deuxième étoile au guide Michelin 2013. Autre lieu incontournable de Courchevel, le Stanley’s Bar, tenu par le chef barman Yves Vitrant, et prisé par les épicuriens. Les cocktails sur-mesure, froids et chauds, tous créés par Yves Vitrant, surprennent par leur originalité.

La gastronomie savoyarde offre bien plus qu’un morceau de fromage grillé : elle représente un véritable terroir, un patrimoine culinaire et une histoire. Il ne reste qu’une seule chose à faire : se mettre à table.

 Visuels : © DR.

Source : Savoie Tarentaise

Le coup de cœur de la semaine : le Brie du Domaine des Trente Arpents

Cette semaine, notre coup de cœur se porte sur un produit fromager typiquement français : le brie. Fromage très ancien, il orne la plupart des plateaux en fin de repas. La Ferme des Trente Arpents, située à Favières près de Tournan en Brie, en Seine et Marne, est la seule à utiliser la mention Brie Fermier AOP et également la seule à produire le Brie de Provins, le plus ancien et le plus original des bries.  Présentations.

« Roi des fromages », d’après Talleyrand, le brie serait aussi l’un des plus anciens, né à l’Abbaye Notre Dame de Jouarre. Sa grande renommée serait principalement due à l’histoire de France: Charlemagne en a fait son éloge en 774, l’on prétend que Robert II le Pieux (fils d’Hugues Capet) en consommait régulièrement et Blanche de Navarre en 1217 en aurait envoyé à Philippe Auguste.

Uniquement produit dans la région autour de Meaux, le brie a vu son territoire s’étendre jusqu’à la Meuse en 1953. En août 1980, il obtient l’appellation d’origine contrôlée AOC.

Le brie est aujourd’hui produit dans les départements du Loiret, de la Meuse, de l’Aube, de la Marne, de la Haute-Marne, de l’Yonne et de Seine-et-Marne, où se situe le Domaine des Trente Arpents, la seule ferme à pouvoir utiliser la mention Brie Fermier AOP.

Le Domaine des Trente Arpents est la propriété du Baron Benjamin de Rothschild. Située à 40 km de Paris, à Favières près de Tournan en Brie, en Seine et Marne, cette propriété de 1600 hectares a souhaité mettre à l’honneur la tradition fromagère de la région et fabriquer son propre fromage, suite à l’appellation d’origine contrôlée acquise sur le Brie de Meaux en 1980.

Aujourd’hui, la Ferme des Trente Arpents est la seule à produire un Brie de Meaux bénéficiant du label fermier, grâce à la mise en service, en 1995, de caves d’affinage. Toute la chaîne de production fromagère est depuis entièrement maîtrisée et permet de fabriquer des produits régionaux et naturels: beurre, crème, Coulommiers au lait cru, Brie de Melun, Brie noir, Brie de Favières, Merle Rouge et Brillat-Savarin. Le Domaine peut également adapter les conditions et durée d’affinage en fonction des demandes particulières des clients.

La fabrication du brie de Meaux suit un processus précis pour obtenir un produit le plus qualitatif possible. Il faut tout d’abord 25 litres de lait cru pour obtenir un Brie de Meaux d’un diamètre de 36 à 37 cm. Le lait est issu des 150 vaches laitières, nourries majoritairement par des fourrages issues du domaine.

Le lait cru fermente 16 heures, avant d’être mis en bassine avec de la présure pour être caillé, puis coupé en petits cubes.

Il est ensuite moulé à la main, par fines couches successives, à l’aide d’une pelle à brie dont la forme évoque une grande écumoire.

La température ambiante est un élément clé du processus. Pendant quelques heures, la salle de moulage doit être chauffée à 33°C, afin d’évacuer le lactosérum, puis à 24 °C pendant 6 heures et enfin à 19°C. L’égouttage s’effectue sur des nattes de joncs naturels qui donnent le relief reconnaissable de sa croûte.

Le lendemain, les fromages sont démoulés puis salés au sel sec : ils restent alors dans la salle de salage pendant deux jours. Les fromages sont ensuite placés dans une salle à 14 °C, dans laquelle ils vont commencer à s’affiner.

Leur couleur blanche apparaît doucement.

Au bout d’une semaine, les fromages seront mis dans une autre salle d’affinage à température constante de 7 °C et une hydrométrie de 96%. Il faut attendre encore trois semaines au minimum, mais les bries n’atteignent leur complète maturité qu’au bout de 6 à 8 semaines. Pendant toute la période d’affinage les fromages sont retournés deux fois par semaine à la main. Après deux mois d’affinage, et autant de patience, le brie est prêt à être dégusté !

En termes de dégustation d’ailleurs, sa période optimale s’étale d’avril à septembre. La pâte du brie jaune paille faite à cœur révèle un goût de noisette et une légère odeur de fermentation. Plus le brie est affiné, plus il est corsé.

Le brie de Meaux se marie parfaitement avec les vins tels que le Bourgogne, le côtes du Rhône, le Saint-Emilion, le Pomerol et le Pinot Noir d’Alsace. Dégustés avec du pain de campagne, des raisins, un filet de miel ou des fruits secs, les bries se voient sublimés. A l’occasion des fêtes de fin d’année, le domaine des Trente Arpents a également créé des bries accompagnés d’une préparation à base de truffe (noire ou blanche), gage d’un contraste raffiné.

Rechercher en permanence la qualité, préserver le territoire et le patrimoine naturel, telles sont les valeurs du domaine des Trente Arpents appliquées à l’élaboration de leurs fromages. Et le goût s’en ressent clairement.

Visuels: (c) Domaine des Trente Arpents

La recette du jeudi: Pavé de bar de ligne de Manche au caramel de camembert Graindorge, blettes et petites girolles

Cette semaine, le chef normand François Déduit, à la tête de l’Hostellerie du Moulin Fouret, nous a concocté un délicieux pavé de bar de ligne de Manche au caramel de camembert Graindorge, blettes et petites girolles… 

Le chef François Déduit a choisi cette semaine de faire honneur à sa région en utilisant des produits locaux de saison et de tradition: du bar, du camembert, des blettes et des girolles.

Passionné des produits du terroir, le chef fait une nouvelle fois honneur à sa passion en mettant en avant dans sa cuisine les relations complexes et délicieuses entre les produits de la terre et ceux de la mer. Le résultat est bluffant avec ce pavé de bar de ligne de Manche au caramel de camembert Graindorge, blettes et petite girolles.

Pavé de bar de ligne de Manche au caramel de camembert Graindorge, blettes et petite girolles

Le marché pour 4 personnes

Les Ingrédients:
• 4 pavés de bar de 200 gr
• 2 belles échalotes
• 1 branche de thym frais + 2 feuilles de laurier
• 1 belle carotte taillée en mirepoix
• 20 gr de céleri branche en mirepoix
• 1 belle pomme fruit parfumée
• 20 gr de beurre frais pour faire revenir la garniture
• 300 gr de cidre brut
• 1 cuillère de miel de fleur
• 100 gr de crème liquide
• 80 gr de beurre frais
• 400 gr de girolles
• 200 gr de blettes
• Calvados

Réalisation :

• Poêler le bar dans du beurre, saisir, puis cuire lentement.
Possibilité de le faire à la plancha.

• Faire revenir la garniture aromatique dans du beurre (échalotes émincées, carottes en dés, thym, laurier, céleri, pommes fruits en dés), bien colorer avec le miel ; à la fin flamber avec le Calvados. Laisser cuire 10 minutes après avoir mis le cidre.

• Filtrer le jus, ajouter la crème, laisser réduire 8 minutes, monter la sauce au beurre et mettre au bain marie pour la garder chaude.

• Faire revenir les girolles dans du beurre avec une pointe d’ail, ajouter les blettes cuites en dés, une cuillère à soupe de persil haché frais.

• Dresser les girolles en fond d’assiette, puis le bar et napper avec la sauce.

Visuels: (c) DR

Michel Fouchereau : « L’art du fromage, c’est contribuer à la bonne évolution d’un produit fini ».

Artiste du fromage, Michel Fouchereau l’est depuis sa plus tendre enfance, la passion se transmettant de génération en génération dans sa famille. Meilleur Ouvrier de France en 2004, l’artiste fromager  sélectionne et affine près de 200 produits à La Fromagerie d’Auteuil. Il nous ouvre les portes de sa boutique parisienne pour nous parler de l’évolution de son métier et des goûts des Français, nous donner des astuces pour composer un plateau de fromage à notre image et de l’art de déguster et d’affiner le fromage.

Quel est votre parcours ? Comment le fromage est-il devenu un métier ?

Michel Fouchereau: Je suis tombé dans le milieu du fromage tout petit. Mes grands-parents étaient déjà agriculteurs et producteurs de lait dans les Deux-Sèvres. Mes parents sont eux montés travailler à Paris et ont ouvert leur première fromagerie d’abord dans Paris, puis à Neuilly Sur Seine. Je suis donc né au cœur d’une fromagerie déjà existante. J’ai grandi au milieu des fromages en faisant des découvertes gustatives au fil des années. J’ai ensuite eu un parcours scolaire assez classique où je me suis dirigé vers la comptabilité. Mais je me suis rendu compte au bout de mes études que la comptabilité n’était pas forcément le choix de vie qui allait me plaire. J’avais envie de bouger, de faire plein de choses. Et la gourmandise était toujours aussi présente ! J’ai donc abandonné la comptabilité, qui m’a quand même beaucoup servie dans ma carrière professionnelle, et j’ai rejoins l’entreprise de mes parents. Là, j’ai approfondi mes connaissances du métier : comment travailler le fromage, l’affiner, en prendre soin, reconnaître les saveurs des différents types de produits, les textures et les familles, mais surtout connaître le goût typique d’un produit originel et apprendre à l’amener à un degré d’affinage qui soit le meilleur pour le consommateur.

Le métier de fromager affineur a-t-il évolué au fil des années ?

MF: Oui, tout à fait. L’ensemble de la profession s’est vraiment ancré vers un savoir-faire beaucoup plus prononcé qu’avant. On s’est recentrés sur un équilibre de produits de qualité, par rapport à la concurrence de la grande distribution et des produits fromagers de grande industrie. Il a fallu se démarquer par la qualité de nos produits et la qualité de notre travail. Cela a forgé le professionnel à devenir plus pointu : connaître son produit, son origine et la manière dont il est produit. Ça a vraiment tiré le métier par le haut. Les professionnels aussi sont beaucoup plus à l’écoute de ce qu’il se passe au sein de la profession. Par le biais de nos fédérations, il y a des formations pour les personnes qui débutent dans le métier : des découvertes de terroir et de différentes régions, des découvertes d’associations de fromages et différentes saveurs, des découvertes sur les différentes manières d’utiliser le fromage dans une journée. Que des éléments qui tirent le professionnel vers le haut. Il y a également un besoin de reconnaissance au niveau de la gastronomie française. Il s’y passe tellement de choses. La gastronomie est déjà reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO, pourquoi le fromage n’en ferait-il pas partie ? Nous sommes un pays de gastronomie, avec beaucoup d’histoire des régions. Pour beaucoup, ces régions sont liées à l’histoire de la France et du fromage. Il y a des régions où l’on élève des vaches, d’autres des brebis, d’autres des chèvres. Ce n’est pas anodin. C’est dû à un terroir et à une histoire, l’histoire ancestrale qui s’est déroulée dans ces régions. Et puis le format des produits, la façon des les fabriquer, tout ça est ancré dans la culture française.

Les goûts des français ont-ils également changé?

MF: Oui. Il y a eu une période où la reconnaissance organoleptique des consommateurs était un peu faussée par l’arrivée de la grande distribution et de produits nouveaux aseptisés au niveau du goût, avec beaucoup de pasteurisé, de produits sous vide. Et le lait en est à l’origine. Enfant, je ne connaissais que le lait cru vendu au détail. On allait à la ferme et on recevait notre dose de lait dans son petit pot. Le lait était consommé cru. Après, il y a eu la mode des laits pasteurisés, plus aseptisés au niveau du goût mais beaucoup plus faciles à conserver. La vie de la ménagère était facilitée car elle pouvait se permettre d’avoir du lait d’avance. Ainsi, toute cette génération qui a été élevée et qui a grandi avec ce goût moins prononcé a beaucoup de mal à reconnaître et identifier le vrai produit. En revanche, les consommateurs ont maintenant envie d’avoir un vrai produit. Nous avons donc une démarche qui est d’expliquer le produit, la typicité de son goût mais aussi d’essayer de comprendre l’envie du consommateur et la typicité de goût qui va flatter son palais. A partir de là, quand on a compris cela, on a une porte ouverte pour leur faire découvrir des produits qu’ils ne connaissent pas. Tout notre travail repose sur la communication et l’explication. Nous ne sommes pas là pour éduquer mais pour informer. Prenons l’exemple du camembert : un camembert au lait cru doit avoir une typicité de goût d’un moment de l’année à l’autre qui peut être complètement différente et une fleur extérieure qui peut radicalement varier. Aussi, un camembert qui a une fleur rouge, ce n’est pas parce qu’il est trop fait mais que dans la saison, il a pris plus de typicité qu’à un autre moment de l’année. Cette couleur fait donc partie de son réel état d’origine. Et il y a une vraie différence entre un camembert cru de Normandie, un AOP, dont le goût va être différent d’un moment de l’année à l’autre, à un camembert qui est pasteurisé, vendu toujours dans le même état en grande surface. C’est cela qu’il faut transmettre au consommateur.

Le métier de fromager-affineur a évolué, les habitudes des consommateurs aussi. Qu’en est-il des fromages en eux-mêmes ?

MF: On a des produits qui ont beaucoup moins de variantes qu’il y a vingt-cinq ou trente ans. Il y a trente ans, les camemberts étaient consommés presque exclusivement très affinés, très serrés, le croûtage était toujours un petit peu plus poussé et rouge et les fromages étaient relativement puissants. Maintenant, on a des fromages qui ont du caractère, mais qui sont plus admissibles au palais désormais un peu délicat.

Quels sont les fromages indispensables à un plateau?

MF: Ce que je préconise quand on veut faire un plateau simple et pas trop chargé, c’est de choisir la base des trois laits existants en majorité en France : un fromage au lait de chèvre, un fromage au lait de vache et un fromage au lait de brebis. Ensuite, selon les affinités de chacun, on peut choisir un fromage dans chaque famille. Par exemple, dans les fromages de chèvre on retrouve des fromages à pâte molle de type croûte fleurie, des fromages de chèvre à pâte pressée et des fromages de chèvre à pâte pressée à croûte lavée. Dans chaque famille, c’est la même chose. Si l’on veut faire des plateaux plus élaborés, on essaie de représenter sur le plateau l’ensemble des familles qui existent. On peut l’agrémenter d’un fromage frais, soit vache, chèvre ou brebis, d’un fromage de la famille des pâtes molles à croûte fleurie, soit vache, chèvre ou brebis, le compléter ensuite avec des fromages de la famille des persillés, roquefort ou bleu, avec toutes les familles des pâtes molles à croûte lavée, plus puissants, type Munster, Maroilles ou Livarot, et pourquoi pas avec les pâtes pressées, qui ne sont pas cuites, comme les cantals, les Salers, la Tome, les Laguiole ou les Saint Nectaire. Cela fait un beau choix de fromage ! Pour équilibrer l’ensemble, je recommande d’avoir un nombre impair plutôt qu’un nombre pair sur le plateau, simplement pour l’équilibre esthétique du plat. Ça peut être 1, 3, 5 ou 7 fromages ! Je suis un adepte des nombres impairs (Rires). On peut également simplement offrir en fin de repas un fromage unique, une belle pièce ou un fromage de saison. Il faut aussi essayer d’équilibrer la quantité de produit par rapport au nombre de convives qui sont à table. Tout dépend également de ce que le consommateur va en faire : si c’est un plateau d’apéritif, de fin de repas ou un plateau dînatoire. On essaie toujours de s’adapter aux conditions et au budget de chacun.


Finalement, existe-il un véritable art d’affiner et de déguster le fromage ?

MF: Oui, tout à fait, car on peut faire évoluer un produit de la meilleure comme de la pire façon qui soit. L’acte d’affiner un fromage, c’est l’accompagner de sa naissance à sa consommation. L’accompagner, c’est lui prodiguer les soins qui lui sont nécessaires au début de son évolution, le faire évoluer dans un climat atmosphérique qui soit équilibré, lui forger une croûte de surface qui soit la plus homogène possible, la plus saine possible et lui prodiguer les soins nécessaires. Il faut tous les 2 ou 3 jours, soit brosser le fromage à l’eau salée ou avec des alcools, pour lui permettre d’avoir une évolution de fleur soit le « laver ». Tout cela contribue à la bonne évolution du produit fini. Porter attention aux soins que l’on donne aux fromages permet normalement d’aboutir à un produit qui aura une qualité de goût sûre. Mais la fonction d’affineur varie d’un artisan à l’autre. On a tous nos façons de travailler l’affinage de notre produit et tous, détaillants fromagers à un autre, une perception gustative qui nous est propre. Il est possible que pour un même produit que l’on achète dans deux magasins différents, l’on obtienne un goût qui soit différent. Chacun essaie d’amener le produit au type de goût qu’il reconnaît et apprécie. Il y a vraiment un rapport avec la sensibilité de chacun, comme avec la sensibilité de chaque consommateur. L’un va apprécier un fromage de chèvre très affiné avec beaucoup de puissance et un peu d’acidité, de parfum et de caractère, et son voisin va préférer quelque chose de plus suave, de plus tendre et de plus crémeux pour le même type de produit. On forge également notre clientèle à notre image de marque, à ce qui nous ressemble. Forcément, on ne plaît pas à tout le monde. Chaque consommateur trouve la qualité de l’affinage qui lui convient le mieux. La qualité de l’affinage est très importante à tous les niveaux, de la température de conservation aux soins prodigues dans les caves. Le but du jeu est simple : d’avoir un produit fini de bonne qualité. C’est la réputation qui se met en jeu pour notre établissement mais aussi pour les producteurs que l’on distribue. Un producteur qui goûte l’un de ses produits vendus chez un fromager affineur et qui n’est pas vendu dans les bonnes conditions ne sera pas content. On est une filière. Si l’on veut bien travailler et bien représenter l’ensemble d’un terroir, il faut être rigoureux à tous les niveaux.

Visuels : © RDV Communication