Aurore Monot-Devillard : « On assiste à une féminisation du vin »

C’est un fait : le vin aujourd’hui n’est plus seulement réservé aux hommes. De la production à l’achat, sans oublier la dégustation, les femmes ont fait du vin leur passion et parfois même, leur métier.

Aurore Monot-Devillard est à la tête d’une exploitation vinicole familiale : le domaine Devillard. Copropriétaire avec son frère, elle dirige le Château de Chamirey, le Domaine des Perdrix et le Domaine de la Ferté. A l’occasion de l’inauguration de leur nouvel espace d’oenotourisme, Aurore Monot-Devillard revient sur son métier, sur son statut de femme dans un milieu majoritairement masculin et sur la féminisation évidente du vin. Entretien avec une femme de caractère…

Qu’est-ce qu’est le Domaine Devillard?

Aurore Monot-Devillard : Je suis copropriétaire de trois domaines en Bourgogne, le Château de Chamirey à Mercurey, le Domaine des Perdrix en Côte de Nuits et le Domaine de la Ferté à Givry. Nous avons créé une société de distribution mon frère Amaury et moi, Amaury et Aurore Devillard, qui distribue nos trois domaines familiaux et deux autres domaines avec lesquels nous sommes partenaires, le Domaine du Cellier aux Moines à Givry et le Domaine de la Garenne à Mâcon-Azé. Cela constitue l’ensemble des domaines dans cette partie production et distribution. Il n’y a pas de négoce, ce ne sont que des vins de propriété. La particularité pour tous ces domaines est qu’ils sont familiaux, même ceux dont nous assurons la distribution.

En quoi être une femme est-il un avantage ou un inconvénient dans la direction d’une exploitation vinicole ?

A M-D : Il y a en effet les deux ! Je dirais que c’est un milieu qui est encore assez masculin et qui est relativement machiste. Mais finalement, comme c’est un univers masculin, les hommes sont contents de voir autre chose toute la journée. Je vis ça plutôt comme une chance d’être une femme et copropriétaire. Sur certains marchés, ça amuse. En général, les gens disent que c’est assez rare d’avoir des femmes comme interlocuteurs étant donné que ce sont aussi des marchés assez machistes. Je ne pense pas que ce soit un inconvénient mais je ne cherche pas à en faire un atout non plus. Et je ne suis pas du tout féministe. Je ne suis pas dans toutes ces associations de « Femmes et Vins » (ndlr. comme Femmes et Vins de Bourgogne) et je ne milite pas. Se réunir entre femmes et parler de vin, pour moi le sujet n’est pas là. J’ai envie de m’amuser dans ce que je fais et le fait que je sois un homme ou une femme ne change rien pour moi.

Pensez-vous cependant apporter un regard et une touche féminine à votre production?

AM-D : Oui. Je dirais que dans la Bourgogne, ce sont des vins qui sont à la fois puissants mais aussi beaucoup dans la finesse et l’élégance. Je ne dis pas que ce sont des qualités foncièrement féminines mais nous évoluons dans un univers plutôt haut de gamme, puisque nous avons des domaines et la chance d’avoir de très beaux terroirs, beaucoup de premiers crus et la chance d’avoir quelques grands crus. Etant une femme, on joue peut-être sur ce créneau haut de gamme, sur le côté élégance et prestige, mais à mes yeux, ce n’est pas seulement féminin. Je n’ai pas le sentiment d’apporter une touche différente mais peut-être une regard différent. Je pense que personne ne vit les vins de la même façon, mais  cette différence vient-elle de la différence de sexe ? Je n’en sais rien. Je pense que tous nos regards sont différents mais qu’ils varient selon notre lieu d’origine, notre histoire, notre enfance, comment l’on se projette dans l’avenir. C’est sur que si je présente nos vins, ou que mon frère ou mon père les présentent, toutes les façons de les présenter seront différentes car nous avons tous des sensibilités différentes. Et cette sensibilité vient de notre histoire, de nos enseignements. Pour moi ce n’est pas le fait d’être une femme ou pas.


Pensez-vous que l’on assiste à une féminisation du vin, tant du côté de la dégustation que du côté de la production ?

AM-D : Oui, ça c’est sur! De plus en plus d’œnologues sont des femmes et elles sont en général assez brillantes. C’est peut-être aussi ce côté finesse, élégance et sensibilité. En général, les vins qu’elles apprécient sont des vins qui sont plutôt dans la rondeur, toujours avec de la puissance, mais avec de la rondeur, des choses peut-être plus fondues. En termes de dégustation, de consommation, c’est sûr, de plus en plus de femmes viennent déguster, aussi bien dans des salons professionnels que dans des salons publics type Grand Tasting. Il y a de plus en plus de femmes, de plus en plus de jeunes femmes aussi qui s’y intéressent, et je pense qu’il y a également de plus en plus de prescriptrices. Il nous arrive d’avoir des femmes, même les cavistes vous le diront, qui rentrent chez eux et qui disent « Voilà, nous avons une dîner ce soir, mon mari ne veut pas s’en occuper/n’a pas le temps/c’est moi qui m’en occupe, qu’est-ce que vous avez comme vin ? » Pour moi c’est assez nouveau, les femmes qui sont de plus en plus prescriptrices, par rapport à avant où c’étaient les hommes qui descendaient à la cave choisir le vin. Aujourd’hui ce n’est plus ça. Je vois une évolution qui s’explique peut-être par rapport à l’égalité des hommes et des femmes au sein d’un foyer. Il n’y a plus de choses uniquement réservées aux hommes ou aux femmes.

Quel est votre vin coup de cœur ? Et celui que vous conseilleriez aux amatrices ?

AM-D : Mon coup de cœur est une nouvelle cuvée qui je dois dire est magnifique. C’est le Château de Chamirey Mercurey Premier Cru « Les 5 » qui est un assemblage des plus belles pièces de nos cinq premiers crus de Mercurey rouge. C’est une bombe, c’est puissant, c’est fin, c’est racé, et c’est un Mercurey, et je défie quiconque d’aller à l’aveugle sur un vin de la côte Chalonnaise! Je suis aussi assez champagne, c’est peut-être très féminin aussi, et j’aime beaucoup le Billecart-Salmon rosé, qui est une marque de champagne réservé aux connaisseurs et amateurs de champagne mais qui fait des magnifiques champagnes. Et le rosé est juste hallucinant !

Nous sommes sur le blog des Rendez-vous des Arts Culinaires. Quelle est votre définition personnelle de l’art culinaire ?

AM-D : L’art culinaire c’est un art avant tout. D’ailleurs la Biennale d’Issy les Moulineaux de septembre 2013, exposition d’art, va avoir comme fil conducteur « L’art du goût, le goût de l’art ». Ça tourne autour de l’art et de la cuisine. Ça sera autour de quelques grands chefs étoilés. C’est intéressant puisque c’est une biennale artistique qui s’articule autour de l’art culinaire. Effectivement pour moi, la cuisine c’est un art, parce que c’est à la fois le visuel, le goût, l’odorat et je ne peux pas imaginer le vin sans cuisine ou une belle cuisine sans vin. C’est vraiment l’aspect parité cuisine-vin. Aujourd’hui on assiste à un véritable art quand on voit le dressage de certaines assiettes, et pas seulement dans des restaurants étoilés. On fait vraiment attention à tout, aussi bien l’esthétique de l’assiette que son contenu. La cuisine est donc un art.

Visuels : © Domaine Devillard

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