Patrice Hardy : «Tout cuisinier tombe vite amoureux de la truffe. »

La truffe est un condiment qui se décline à l’infini : salé ou sucré, en soupe ou en soufflé, en sauce ou en rapé sur une salade. La truffe est également l’ingrédient premier du restaurant étoilé de Neuilly-sur-Seine, La Truffe Noire, et une source d’inspiration intarissable pour Patrice Hardy. Rencontre avec le chef pour parler de sa passion pour les Tuber

Comment êtes-vous entré en cuisine ?

Patrice Hardy: J’ai fait un apprentissage classique. J’ai commencé à 15 ans dans la région Nantaise et j’ai ensuite fait un Tour de France pour m’améliorer. J’ai eu la chance d’avoir quelqu’un d’assez exceptionnel comme patron d’apprentissage, le Président de la Chambre des Métiers de Nantes. Il était toujours au courant de tout et nous faisait faire beaucoup de concours dans toute la France, ce qui était rare en apprentissage. C’était déjà une grande ouverture d’esprit. Ensuite j’ai rencontré Monsieur Vilaire, le chef de l’Hermitage, à La Baule, qui tournait très fort. C’était la grande époque des saisons. On faisait 500 couverts par jour, on était une centaine en cuisine. C’était ma première rencontre avec Monsieur Vilaire avant l’armée. Ensuite, après des passages dans différentes maisons étoilées sur Paris, j’ai rencontré Jean-Paul Bonin au Crillon, avec qui j’ai fait deux années. Lui a également été conseiller dans certains restaurants où j’étais chef. Je suis ensuite retourné avec Monsieur Vilaire au Martinez à Cannes, pour refaire deux saisons en tant qu’adjoint. Suite à tout ça, je suis revenu sur Paris pour ouvrir le Zebra Square en 1995, la « Brasserie de l’an 2000 » comme la qualifiait la presse. Ensuite ça a été Ladurée avec Pierre Hermé et le fameux Korova, où Jean-Luc Delarue était associé. Suite à la fermeture, j’ai décidé de m’installer en 2004. J’ai fait du conseil, un livre, des démonstrations à l’étranger grâce à un produit : la truffe. La truffe reste toujours un mystère de la nature mais c’est un produit avec lequel on prend beaucoup de plaisir à travailler de différentes façons.

Quelle a été votre première rencontre avec la truffe ?

PH: J’ai la chance de passer mes vacances dans le Var. Et dans le Var, il y a le spécialiste de la truffe : Bruno, à Lorgues. J’allais régulièrement me régaler dans son restaurant sans savoir qu’un jour j’allais en racheter un qui s’appelle La Truffe Noire depuis une centaine d’années. C’est le hasard de la vie. Depuis, j’exploite la truffe de toutes ses façons, classique ou revisitée, en sachant que la truffe reste un condiment, et que la meilleure façon de la servir est le plus naturellement possible.

La cuisine de la truffe a donc évolué en passion ?

PH: A force d’en manipuler des kilos et des kilos, on arrive à reconnaître la truffe. On sait qu’en hiver, il n’y a pas que de la Melanosporum, mais aussi de la Brumale et de la Mesentericum. Tout cela se touche, se voit, se travaille différemment. En ce qui concerne la passion de la truffe, tout cuisinier tombe vite amoureux car c’est vraiment un produit exceptionnel à la saveur exceptionnelle. Il y a tout un savoir-faire avec la truffe. Et une vraie passion. On rentre aussi dans le vif du sujet grâce aux trufficulteurs. On va régulièrement sur le terrain, on va regarder la truffe. J’ai un ami qui cave encore avec un cochon, et ça c’est un rituel ! Tous les ans, on s’y rend et on passe une belle journée. Aller caver, c’est une chose qu’il faut aller faire une fois dans sa vie. Aller chercher la truffe, un après-midi, sous le soleil, c’est magnifique.

Comment sélectionnez-vous vos produits?

PH: J’ai des courtiers qui me livrent régulièrement. A côté de ça, j’ai d’autres réseaux. Pour la truffe, il faut avoir plusieurs réseaux. Cette année par exemple, c’est la plus mauvaise de toutes les années, à mon sens, depuis 9 ans, donc si je n’avais pas eu deux ou trois réseaux à côté, ça aurait été très difficile d’avoir de la truffe. J’en ai toujours 4 ou 5 kilos d’avance dans le frigo. Nous ne nous fournissons pas exclusivement en France. En Italie, il y a la truffe blanche d’Alba et de Borgi. Si ça ne vient pas d’Italie, ça peut aussi venir d’Espagne ou de Croatie mais il faut se méfier car elles n’ont pas toujours la même odeur, la même puissance que celles d’Alba. Il faut arriver à faire la différence. Comme avec les fameuses truffes de Chine qui arrivent par tonnes en France. On arrive à la reconnaître mais une truffe de Chine mise en boîte avec des Mélanosporum, une fois stérilisée, je ne suis pas sur qu’on arrive à faire la différence, à moins d’être un grand spécialiste.

Votre utilisation des truffes varie-t-elle au fil des saisons ?

PH: Oui et la carte varie également en fonction des saisons. Nous allons bientôt arrêter la truffe blanche d’Alba, changer la carte et faire à 100% de la Melanosporum. Si tout va bien, fin février/ début mars, on va remettre la Borgi, une autre truffe blanche d’Italie et on va rechanger la carte. Ensuite, on recommence avec la truffe d’été puis la truffe de Bourgogne. On change la carte au minimum cinq fois par an car on travaille cinq variétés de truffes fraîches tout au long de l’année et uniquement des produits de saison. En pleine saison, comme en ce moment entre le 15 janvier et le 15 février, on va stériliser nos propres truffes pour pouvoir travailler de la Mélanosporum sur certains plats tout au long de l’année. On ne vous la présentera pas, on ne la râpera pas à votre table, comme selon notre habitude, mais elle sera présente dans les plats. Nous faisons aussi notre propre huile de truffe. Toutes celles que vous trouvez dans le commerce, qui sont plus ou moins bonnes, voire très mauvaises, ont toutes des additifs, des conservateurs et des arômes synthétiques. Elles ne contiennent rien de naturel. C’est pour ça que certaines personnes n’aiment pas la truffe, justement à cause de ces très mauvais produits dérivés.

Quels sont les meilleurs accords entre les vins et les truffes ?

PH: Il existe de nombreux accords. Bien évidemment, les goûts personnels entrent en jeu. Il est d’usage d’accorder les truffes avec les Bordeaux ou les Pommerol, car ils ont des goûts terreux, de champignons. Les truffes vont aussi très bien avec de vieux champagnes, avec des Condrieu. Je pense que la truffe, en accord avec les mets et les vins, est assez exceptionnelle. C’est aussi selon le produit. Si l’on met de la truffe avec du lièvre, c’est mieux de mettre un vin approprié. On trouve toujours le vin idéal pour un produit à base de truffe. Ce n’est pas un problème. Ça se cherche, ça se goûte et l’on arrive finalement à une palette assez large de combinaisons et d’accords. Cela varie aussi selon le type de truffe. Avec une truffe blanche, on n’aura pas le même vin qu’avec une truffe noire. Avec un soufflé à la truffe ou une glace à la truffe, plutôt un vin de dessert. C’est évident. Mais on arrive à trouver les accords qui vont sublimer d’autant plus ce champignon et son parfum.

Vous avez nommé votre restaurant la Truffe Noire. Vous travaillez la truffe à l’année. Ce produit pourrait-il finir par vous lasser ?

PH: Non car il y toujours un moyen innovant de la travailler. Je me sers de la truffe comme condiment et c’est assez exceptionnel d’avoir un tel accord avec tant de produits. La seule particularité, dans ma cuisine, c’est que je n’utilise plus d’épices. La truffe est mon épice à moi. On propose évidemment des plats sans truffe, mais elle est présente à 95%, et les gens viennent pour la manger. Avec les vins je pense que c’est pareil : l’inspiration avec la truffe est infinie.

Brillat-Savarin disait de la truffe qu’elle est un « diamant noir ». Qu’en pensez-vous ?

PH: La truffe est un produit rare et exceptionnel. Forcément, tout ce qui est rare est cher. Surtout cette année, où il n’y en a pas. Mais cette rareté et cette exception font que les gens se déplacent pour la truffe. C’est à nous de ne pas la maltraiter.

Visuels: (c) RDV Communication, Loran Dherines.

La truffe : un diamant noir

Rare, subtile, goûteuse, recherchée, fine, élaborée, savoureuse, parfumée… La truffe est aujourd’hui un met incontournable dans la cuisine gastronomique. Cependant, avant d’être un produit de luxe, elle est un produit de la terre, fruit de la symbiose entre trois éléments. Portrait historique, biologique et culinaire de la truffe…

La truffe

Appréciée des gourmets depuis l’Antiquité et très recherchée, la truffe parfume depuis des siècles les plus belles préparations culinaires. Fruit de la rencontre entre un sol, un arbre et un champignon, la « truffe » est le nom donné à la fructification comestible, plus ou moins globuleuse, du champignon de la famille des ascomycètes hypogés, champignons souterrains.

L’histoire de la truffe

La truffe se déguste depuis l’antiquité. En Egypte, vers 2600 avant Jésus Christ, le pharaon Khéops aimait à servir des truffes aux délégations qui venaient l’honorer. Dans la Bible, les «pommes d’amour» que Léa, femme de Jacob, disputa à Rachel, vers les années 1700 avant JC, pourraient correspondre à des truffes. Le philosophe grec Théophraste (372-287 avant J.-C.), pensait que les truffes étaient des «végétaux engendrés par les pluies d’automne accompagnées de coups de tonnerre ». L’Italie, dont les régions du Piémont, de la Toscane, de l’Ombrie et des Marches sont aujourd’hui réputées pour la truffe blanche, a une histoire de 2000 ans avec le champignon. Plutarque, historien et penseur de la Rome Antique, considérait la truffe comme le produit de la fusion de 3 éléments (foudre + eau + terre). La truffe est également citée par le naturaliste Pline l’Ancien et par de nombreux écrivains latins qui lui donnèrent son nom de Terrae Tuber.

C’est seulement au XVème siècle, sur la table de François Ier, au retour de son exil en Espagne, que la truffe fait sa première apparition en France. Depuis le XVIème siècle, les truffes sont régulièrement dégustées à toutes les grandes tables et agrémentent les plats les plus raffinés. Une découverte tardive qui fait le bonheur des gourmets de l’époque jusqu’à aujourd’hui…

La biologie de la truffe

La particularité de la truffe est qu’elle est qu’elle est souterraine et elle se développe en symbiose avec un arbre. Comme tout champignon, la truffe est contrainte de se rattacher à une autre vie.

Le champignon développe dans le sol un mycélium, sa partie végétative, qui va chercher un arbre nourricier. De la rencontre du mycélium et des radicelles (les plus petites des racines) de l’arbre hôte, naît un organisme indispensable aux échanges: la mycorhize. Grâce aux mycorhizes qui démultiplient la capacité de l’arbre à absorber les sels minéraux et l’eau, la truffe puise dans l’arbre les substances organiques sans lesquelles elle ne pourrait vivre: c’est la symbiose mycorhizienne. La mycorhisation se fait soit naturellement par la présence de spores de truffe dans le sol, soit par le fait de planter des arbres déjà mychorisés, généralement des chênes pubescents, des chênes verts et des noisetiers, ou plus rarement des tilleuls et des châtaigniers. C’est le mycélium issu des mycorhizes qui donne naissance aux petites truffes. Si elles ne dépérissent pas, ces petites truffes évoluent et prennent leur indépendance courant juillet.  C’est alors, pendant la période estivale, que la truffe connaît une croissance exponentielle et passe de quelques grammes à son poids normal, généralement de 30 à 50 grammes.

La truffe ne peut se développer que sur des sols calcaires à une profondeur de 1 à 15 cm aux pieds des arbres truffiers. Elle affectionne particulièrement les sols pauvres, peu profonds et bien drainés. Par son aspect, la truffe est plutôt arrondie mais elle peut être irrégulière, suivant les aspérités du terrain. La couleur et l’arôme de la truffe ne se développent, eux, qu’au moment de la récolte. La truffe doit sa rareté à la lenteur à laquelle elle se développe: il faut une dizaine d’années, une fois l’arbre planté, pour que les premières truffes apparaissent.

Les espèces

Il existe plusieurs centaines d’espèces de tuber, de truffes, mais seulement six espèces dites gastronomiques. Ces espèces ont des qualités gustatives et culinaires bien différentes, ce qui se traduit généralement au niveau des prix :

– La Tuber Magnatum, dite truffe blanche, du Piémont ou d’Alba, est récoltée en Italie et en Croatie mais est introuvable en France. C’est l’espèce de truffe la plus rare, la plus chère et la plus recherchée du monde. Elle atteint sa maturité de septembre à décembre. Son parfum très prononcé rappelle l’ail, l’échalote et le fromage et la truffe blanche se déguste idéalement crue au dernier moment sur de la salade, du risotto, du riz ou des sauces.

– La Tuber Melanosporum, dite truffe noire du Périgord, du Tricastin ou truffe de Provence est la reine des truffes, au parfum et à la saveur très recherchés en cuisine. C’est l’espèce de truffe la plus connue par son parfum envoûtant de sous-bois humides et ses qualités gustatives. Elle figure d’ailleurs à la carte de la plupart des grands restaurants et reste incontournable dans certaines préparations, dont le pâté de Périgueux. Moelleuse et croquante, la Tuber Melanosporum est récoltée à 95% dans le sud-est de la France, de la mi-novembre à la mi-mars.

– La Tuber Brumale, dite truffe musquée, ivernenco, pudendo ou rougeotte en Provence, a une odeur de rave nuancée d’ail et un goût très poivré, légèrement sucré. En bouche, elle a une certaine amertume et un goût d’humus légèrement terreux et elle prend toute a splendeur en omelette ou mélangée aux pâtés, à la charcuterie et aux produits truffés. La Tuber Brumale peut être confondue à la Tuber melanosporum car elle pousse dans les mêmes zones, se récolte à la même époque et se trouve être la seule variété, avec la Melanosporum, à être classée dans la catégorie des truffes noires nobles. Sa récolte se fait de novembre à mars dans le Sud-est et Sud-ouest de la France.

– La Tuber Aestivum, dite Mayenque ou truffe noire d’été, a une odeur fine et légère de sous-bois et un goût léger de champignon forestier. C’est la truffe la plus fréquente mais la moins recherchée. Elle se récolte de mai à septembre. De forme arrondie ou bosselée, elle est généralement de grosse taille. Au nez, elle dégage un faible parfum de champignon et de sous bois, avec en bouche un goût amer et de terre.

– La Tuber uncinatum Chatin, dite truffe de Bourgogne, se rapproche de la Tuber aestivum mais  son odeur et sa saveur sont beaucoup plus prononcées. Elle est la truffe la plus largement répandue dans toute l’Europe, se met en symbiose avec plus de variétés d’arbres (chêne, noisetier, charme, hêtre et pin…) et se récolte dans tous les terrains calcaires. Au nez, elle a une odeur de champignon et en bouche, le goût est variable car bien mûre, son amertume disparaît laissant apparaître une douceur de noisette.

– La Tuber mesentericum est dite truffe de Lorraine. Son parfum puissant de réglisse, d’amande ou d’abricot (seulement à la maturité) et son goût amer en font une truffe particulièrement recherchée. Les arômes de cette truffe Lorraine résistent très bien à la cuisson, parfument parfaitement les terrines et les fonds de sauce mais provoquent généralement une réaction chez ceux qui la dégustent pour la première fois, la saveur, pour les néophytes, se rapprochant de celle d’un médicament.

D’autres truffes existent sur le marché du champignon mais ne font partie des espèces gastronomiques: la truffe chinoise, parfois frauduleusement colorée et vendue en tant que truffe gastronomique, qui est souvent utilisée comme décoration; la truffe des sables ou du désert, champignon comestible souterrain qui pousse dans les pays d’Afrique du nord; la truffe Elaphomyces granulatus, très appréciée des animaux tels que les sangliers ou les écureuils.

Le cycle de vie

La durée de vie des truffes est comprise entre 200 et 290 jours, ce qui assure environ trois mois  de récolte.

De février à mars, les spores germent et induisent des mycorhizes. De mars à avril, le mycélium colonise le sol et induit également des mycorhizes. En mai a lieu la sexualité du champignon et en juin se forment les truffettes. En juillet, les truffettes commencent à grossir mais c’est d’août à octobre que les truffes évoluent véritablement. En novembre, les truffes mûrissent et en décembre, elles sont prêtes pour les premières récoltes. Les truffes sont à leur apogée en janvier puis récoltés jusqu’à la mi-mars.

La trufficulture

La récolte de la truffe fait appel à de nombreuses connaissances techniques du terrain et du champignon. La truffe est toujours ramassée au voisinage d’arbres tels que les chênes, les noisetiers et les charmes, sur les terrains calcaires dans lesquels elle évolue.

Aujourd’hui, il y aurait environ 20 000 trufficulteurs en France, divisés entre les producteurs qui plantent le champignon, et les « caveurs » (ou « rabassiers ») qui les ramassent. 80% des truffes françaises du marché sont ramassées dans des truffières aménagées et cultivées. La première truffière a d’ailleurs été plantée en 1968 à Péchalifour, en Dordogne, par Michel Aynaud, et elle est aujourd’hui devenue l’une des plus importantes de France, occupant un terrain de quatre hectares et comportant 190 arbres.

Mais comment s’organise une truffière à l’année? De fin janvier à fin février se déroule le ramassage des truffes, appelé le « cavage ». Ensuite, c’est le ménage de printemps: débroussaillage, nettoyage de la truffière, taille des pousses et rejets, élimination du bois mort. Ensuite, en avril, le trufficulteur taille les chênes verts et certains rejets de noisetiers. Sous chaque arbre producteur, la terre est travaillée à la « grélinette », outil qui permet d’ameublir la terre sans la retourner. La récolte de la truffe noire d’été peut alors commencer. En mai, il faut faire un petit coup de tondeuse entre les arbres et sur les « brûlés », l’espace autour ou à proximité du tronc qui annonce que l’arbre truffier va entrer ou est entré en production. En prévision d’une sécheresse possible, une irrigation est mise en place en juin. Elle est placée autour des arbres qui donnent de la truffe melanosporum et la truffe brumale. Les mêmes arbres ont été paillés avec des branches de genévriers et des ceps de vignes afin de garder une température acceptable dans le sol. La quantité d’eau versée est de 20 mm par arbre tous les quinze jours. Nouveau passage de débroussailleuse en juillet et en août. En septembre, l’irrigation est démontée et le paillage des genévriers est retiré. C’est à ce moment-là que se repèrent les premières truffes et que sont installées les clôtures électrifiées qui protègent les truffières des sangliers. En octobre, une banque de données de la truffière est créée afin de mettre les informations sur la truffière à jour. Elle contient la date de plantation, la situation dans la truffière, le type de mycorhyze, la qualité et la présence ou l’absence du brûlé et l’arbre producteur. En novembre débute la récolte des truffes brumale. La truffière est nettoyée, les feuilles autour des brûlés sont débarrassées afin d’éviter qu’elles se transforment en humus, et les trufficulteurs font de l’écobuage, du débroussaillement par le feu. Les arbres trop vieux, non producteurs depuis longtemps ou trop grands car faisant de l’ombre au brûlé sont abattus. D’autres arbres sont taillés afin de re-stimuler la production et les truffes de « marque » sont localisées. En décembre, débute enfin la récolte des premières melanosporum, brumale et encore quelques aestivum, qui se poursuit jusqu’en février.

La récolte

Place donc à la récolte, le travail des «caveurs» ou «rabassiers», les ramasseurs de truffes. Premier signe annonciateur d’une trace de truffes au pied de l’arbre: le brûlé. La truffe est enfouie dans le sol entre 1 et 40 centimètres. L’odeur d’une truffe en terre n’étant pas décelable par l’homme, le trufficulteur doit obligatoirement faire appel à un animal à l’odorat beaucoup plus fin. Seuls trois animaux participent au ramassage: les chiens truffiers, le cochon et la mouche.

Les chiens truffiers sont les plus efficaces dans le cavage. Spécifiquement éduqués pour chercher les truffes, ils arpentent la truffière avec leur maître, nez à terre, et flairent le sol à la recherche d’une odeur indiquant la présence du champignon. Le chien marquera alors le sol avec sa patte ou commencera à creuser la terre. Le trufficulteur intervient alors pour cueillir le champignon avec un pic à truffe ou « cavadou », afin d’éviter que son fidèle compagnon n’abîme la trouvaille. Une fois la truffe ramassée, le chien est bien sûr récompensé par une friandise et se remet en quête. La plupart des chiens truffiers ne sont pas des chiens de race. Ils ont seulement un flair développé, une passion pour la truffe et une bonne complicité avec leur maître.

Autre animal pour le cavage, le cochon. Celui-ci n’est plus très utilisé car il est plus encombrant, moins mobile, plus fatigable et plus fatigant que le chien. Le cochon n’est pas dressé, il est seulement muselé car il cherche la truffe pour la consommer.

Dernière aide précieuse dans le cavage des truffes: la mouche, alliée préférée des anciens. En arrivant sur le brûlé, face au soleil, il suffit de faire s’envoler la mouche au moyen d’une baguette, en repérant l’endroit d’où elle est partie et de creuser pour extraire la truffe. Ensuite, il faut avoir la patience de repérer d’autres mouches sur d’autres truffes. C’est un procédé utilisable quand on n’a pas de chien mais qui nécessite une très bonne vue et de l’expérience.

Cependant, quelle que soit la technique, le caveur extrait toujours la truffe avec précaution, en essayant de ménager les couches de sol, pour que le mycélium reconstitue d’autres truffes les années suivantes.

La commercialisation

Une fois la récolte terminée, place à la commercialisation plutôt intimiste d’un champignon tant recherché. Les trufficulteurs se rendent en principe chaque semaine aux marchés aux truffes qui se tiennent dans différents villages, selon les jours de la semaine. Parmi les plus importants, ceux de Richerenches en Tricastin, de Carpentras dans le Vaucluse et celui l’Albencque.

Il y a deux acteurs dans le commerce de la truffe: le trufficulteur et le courtier. Le trufficulteur se présente au marché avec sa récolte triée et non lavée dans des sacs de toile. Le courtier, les balances romaines installées dans les coffres ouverts de leurs voitures, attendent de voir et d’estimer le produit. Ce sont eux qui fixent les cours, en fonction des demandes qu’ils reçoivent des négociants et des restaurateurs. Chacun veut, bien évidemment, obtenir le meilleur prix pour le meilleur produit. Pour certains, le courtier est choisi d’avance, la confiance étant établie, il n’y a pas besoin de marchander avec d’autres. La plupart, cependant, proposent leurs produits à différents acheteurs afin de mieux saisir la tendance du jour. Les transactions confirmées se terminent généralement… au bistro !

La choix du produit

Quelles sont donc les astuces pour bien choisir son produit ? La truffe est un champignon à la taille variable, mais elle fait généralement cinq à dix centimètres de diamètre et pèse de 20 à 100 grammes, même si les plus grosses peuvent atteindre 500 grammes.

Les prix des truffes de qualité varient selon leur calibre, leur catégorie (extra, première et seconde catégorie), leur espèce et leur quantité. Les cours sont généralement établis par rapport aux prix pratiqués sur le marché de Carpentras, l’un des plus importants marchés aux truffes de France. Produit de luxe, la truffe peut être vendue de 75 € les 100 grammes jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Les records de prix sont souvent battus lors des ventes aux enchères et il est arrivé qu’une seule truffe ait été vendue… 105 000 € !

En termes de sélection de produit, il faut privilégier les truffes entières fraîches ou les gros morceaux. Ramenées au prix au kilo, les truffes fraîches sont moins chères que les conserves et bien plus savoureuses. Qu’elles soient vendues entières ou en morceaux, les truffes doivent porter l’indication du nom de l’emballeur ou du producteur, le nom usuel et le nom botanique en latin de l’espèce, ainsi que le pays ou la région de production. Afin de vérifier leur texture, certains amateurs « canifent » les truffes à l’aide d’un petit couteau pour s’assurer que les truffes sont vendues « saines, loyales et marchandes ».

En ce qui concerne sa conservation, la truffe, même si elle émane un arôme très intense à son ramassage, perd rapidement son parfum et ses qualités gustatives. Il ne faut donc pas la garder plus de cinq ou six jours. Pour la conserver de manière la plus optimale, il ne faut pas nettoyer  la truffe, et le faire seulement au moment de la cuisiner. Il est recommandé d’envelopper le champignon dans du papier absorbant, et de le placer au réfrigérateur dans une boîte hermétique en plastique alimentaire. Cependant, le mieux pour conserver une truffe longtemps est de la congeler en la tranchant, la reformant et en l’emballant soigneusement dans un morceau de feuille d’aluminium qui sera ensuite rangé au congélateur. La truffe devra alors être utilisée immédiatement après décongélation.

La dégustation

Place au moment tant attendu: la dégustation. Les truffes servent dans de nombreuses préparations et de nombreux plats. Elles sont insérées dans des pièces de boucherie, dans le ris de veau, dans les volailles, les pâtés de foies gras, les pâtés en croûte ou en terrine. Elles se mêlent également aux farces ou à certaines sauces, comme la sauce Périgueux, aux pâtes (comme les gnocchis truffés) ou aux bouchées à la reine. Au XIXe siècle, elles étaient servies comme légume d’accompagnement en cuisine française bourgeoise.

Le secret de la gastronomie de la truffe est la captation de son parfum. Les produits gras (fromages, crèmes, huiles…) et les oeufs sont d’excellents capteurs de parfum. D’ailleurs, l’accord oeuf/truffe est fréquemment revisité: soit l’on saupoudre de petites rognures de truffes dans une omelette, soit l’on enferme des œufs frais avec un morceau de truffe dans une boîte hermétique placée au réfrigérateur. Les œufs prendront rapidement le parfum de la truffe sans que l’on ait à entamer le champignon. En revanche, il faut essayer d’éviter les cuissons à haute température car elles dégradent le parfum de la truffe.

L’association truffe et vin

Tous deux fruits de la terre et de la nature, la truffe et le vin se subliment l’un et l’autre. Rouges ou blancs, les vins s’associent idéalement aux préparations culinaires truffées et mettent en valeur le produit sans l’étouffer.

Lorsqu’un plat a une forte dominante de truffe dans sa composition, il est préférable de l’associer à un vin blanc : un vin de la Vallée du Rhône, un vin d’Alsace ou simplement un vin de pays. L’acidité de cépages tels qui viognier et chardonnay mettront en avant les parfums de la truffe.

Si la truffe est la touche finale à un plat et non l’ingrédient principal, un vin rouge sera l’idéal. En effet, le vin se doit de compléter et relever habilement les saveurs et non les altérer. Il faut cependant privilégier des vins légèrement boisés qui ne sont pas tanniques et qui ne cachent pas le parfum de la truffe : un Côte du Rhône, un Bourgogne, un Pommerol ou un St-Emilion.

Il existe cependant deux écoles dans l’accompagnement des truffes : ceux pour qui la truffe, met raffiné, rare et délicat, se doit d’être accompagné d’un vin de qualité ; les autres qui estiment que l’authenticité, la rusticité et le terroir de la truffe doit se retrouver dans le vin.

Quels que soient les goûts, quelles que soient les envies, le palais trouve toujours la truffe qui lui sied le mieux au goût…

Visuels: (c) RDV Communication; DR.

Les rendez-vous de la semaine du 7 au 13 janvier 2013

Cette semaine, l’actualité culinaire a pour fil conducteur l’une des stars des repas de fêtes : la truffe. En effet, c’est en ce début d’année qu’ont lieu la plupart des marchés qui proposent de découvrir, déguster et acheter de la truffe de qualité auprès des producteurs…Tour d’horizon.

Tous les dimanches matin jusqu’au mois de mars sur la Place de l’Esplan, à Saint Paul Trois Châteaux, se tient un marché réservé aux particuliers où chacun peut découvrir, déguster et acheter de la truffe de Tricastin. Les producteurs jouent le jeu du commerce et donnent conseils et astuces pour marier ce succulent champignon avec les vins de la région. Le marché aux truffes est longtemps resté cantonné au marché de gros, c’est à dire de la vente par le trufficulteur de sa production à un courtier qui lui, a la charge de la conditionner et de la vendre aux restaurateurs et autres consommateurs. Le marché de St Paul Trois Châteaux est né de cette volonté des trufficulteurs de la région de sortir la truffe de ce parcours discret et de faire profiter aux Tricastins et aux amateurs de toutes régions ce produit rare.

Autre marché, celui du village de Lalbenque, LE marché aux truffes du Sud-Ouest. Chaque mardi jusqu’à la mi-mars, le parfum du diamant noir embaume la rue principale, désormais appelée « la rue du Marché aux Truffes », et les rues environnantes du village qui rassemblent les amateurs du « tuber melanosporum », le champignon le plus réputé et recherché au monde. Un petit privilège est réservé aux particuliers : le marché de détail ouvre une demi-heure avant le marché de gros, à 14 heures… Avis aux amateurs !

Le dernier évènement qui met le champignon à l’honneur est la Fête de la truffe le 13 janvier 2012, place de la Libération, dans le village de Le Rouret. Toute la journée se tient un marché artisanal, et le syndicat des trufficulteurs fait la vente de ses produits. Dès 9heures du matin, il est possible d’aller visiter la parcelle expérimentale de trufficulture, ensuite se tient une démonstration des chiens truffiers, puis une conférence dans la salle du conseil municipal et pour clore la journée, le chef étoilé Daniel Ettlinger du Clos St Pierre fera déguster un met préparé pour l’occasion. Après la Fête de la Truffe, le « melanosporum » n’aura plus de secrets pour vous !

Visuels : © DR

Immersion au coeur du MIN de Rungis

Poissons, viandes, fruits et légumes, produits laitiers et fleurs… Au Marché International (MIN) de Rungis, l’on trouve tout. Ce marché, l’un des plus grands marchés d’Europe, fournit la plupart des restaurants, épiceries et grandes surfaces de France. Reportage, le temps d’une matinée, au cœur du MIN…

Il est 6 heures du matin. Paris s’éveille. Le MIN de Rungis, lui, s’active depuis déjà plusieurs heures. Les chariots élévateurs traversent les allées à toute allure. Les camions avancent à reculons pour déposer ou récupérer la marchandise directement aux pavillons. Les palettes pleines de fruits, légumes, poissons ou viande s’entassent, se laissent regarder mais n’ont pas le temps de s’alanguir, étant déjà vendues…

Ouvert depuis 1969, le MIN de Rungis est l’un des plus grands marchés européens. L’activité ne cesse jamais. Les commandes sont passées toute la journée par téléphone, par fax ou en personne. Elles se doivent d’être réalisées puis livrées en temps et en heure pour satisfaire les différents clients : grossistes, épiceries, restaurants, grandes surfaces ou chefs étoilés. Près de 14 000 personnes travaillent sur cette surface impressionnante équivalente à celle de la principauté de Monaco. Une véritable micro-société se déroule sous nos yeux, commissariat de police, banques et magasins de services inclus. La « tour de contrôle » surplombe le MIN de Rungis et veille à ce que les transactions et échanges soient faites dans la légalité.

Cinq mondes composent le MIN de Rungis et chaque pavillon éveille tous les sens : les cris fusent de part et d’autre, les produits arrivent bruts et sont étalés sans emballages, les odeurs de poisson, de viande, de légumes ou de fleurs imprègnent chacun des lieux et la température souvent fraîche glace jusqu’au sang celui qui n’est pas équipé.

Ce sont ces mêmes mondes aux multiples pavillons qui font battre le cœur de Rungis. Ouverts en horaires décalés afin que chacun puisse s’y rendre et faire ses achats, les pavillons ont tous leur spécialité : poissons, viandes, fruits & légumes, produits laitiers et fleurs.

Première étape, la Marée, entièrement consacré aux fruits de la mer. C’est à cet endroit que tous les poissons et crustacés fraîchement pêchés arrivent dans les pavillons afin d’être distribués dans tous les restaurants et les poissonneries.

C’est le pavillon qui ouvre le premier et il faut se lever de bonne heure pour avoir une chance d’obtenir les meilleurs produits : minuit. A 5 heures du matin, il est déjà trop tard. Seuls restent les pains de glace fondus au sol et quelques retardataires…

Direction ensuite la volaille, où cailles, poulets, chapons, dindes, canards et même agneaux et lapins sont présentés. La diversité, la qualité et la quantité de produits est renversante.

On passe du coq à la viande en se dirigeant vers la boucherie. Sur plusieurs centaines de mètres d’allées sont exposés des bœufs entiers, accrochés aux fameuses esses, certains encore recouverts de filets pour éviter que la viande ne sèche.

Certaines pièces sont ensuite découpées pour faciliter le transport et la vente directe.

Un arrêt rapide le temps d’un croissant encore chaud et d’un café bien serré et c’est reparti. Les anciens, personnages incontournable du marché, se désaltèrent d’un verre de vin blanc en prenant la pose pour des journalistes et photographes venus tirer le portrait de l »’authentique » Rungis.

Alors que la boucherie se vide petit à petit, la triperie est la prochaine escale. Pieds et têtes de porc, cœurs, langues, foies, queues, cervelles et tripes et abats en tous genres…

Ne dit-on pas que dans le cochon, tout est bon ? Âme sensibles cependant s’abstenir…

Le dépaysement est garanti dans le prochain pavillon, celui des fruits et légumes. Les couleurs, les formes, les textures, les odeurs, les aspects, les tailles et les provenances varient radicalement d’un cageot à l’autre.

Aujourd’hui, les saisons n’existent plus pour les fruits et les légumes et cette nouvelle ère prend toute sa signification au pavillon dédié : cerises, framboises et fraises côtoient topinambours, pommes de terre et carottes, châtaignes, tomates et aubergines avoisinent litchis, ananas et fruit du dragon.

La fromagerie est le prochain pavillon sur le chemin. Des centaines de fromages de tous les pays sont regroupés dans des cageots en bois.

Certains sont affinés sur des étagères, d’autres sont reconditionnés en de luxueux plateaux de fromage envoyés dans tout Paris.

Alors que la visite du MIN de Rungis touche presque à sa fin, nous arrivons au pavillon de l’épicerie et découvrons avec délice une table recouverte de ce que l’on nomme désormais l’or noir : la truffe. Pesées puis empaquetées avec un morceau d’essuie-tout trempé, les truffes noires de type Mélanosporum, les plus recherchées en gastronomie, se retrouveront bientôt sublimées dans les plus belles assiettes…

Dernier pavillon à découvrir, celui des fleurs. C’est ici que se fournissent tous les fleuristes de la capitale : fleurs fraîches, contenants, décorations, papiers pour envelopper les bouquets et accessoires en tous genres, tout est rassemblé au même endroit pour que les professionnels de la fleur puissent aisément trouver leurs marchandises.

Il est 9h du matin. La visite se termine sur un lever de soleil aux nuances de bleu et de rose. Alors que la journée s’achève pour tous les travailleurs du MIN de Rungis, de l’autre côté du périphérique, l’autre ne fait que commencer…