Valérie Rousselle : «Les rosés Crus Classés sont l’élite des vins de Provence. »

Ça y’est, la belle saison prend doucement ses quartiers d’été ! Fruits et légumes gorgés de soleil, terrasses doucement caressées par les rayons déclinants d’une chaude journée, la période estivale est le moment idéal pour découvrir de nouvelles saveurs et dégourdir ses papilles, en particulier à l’apéritif. Valérie Rousselle, à la tête du Château Roubine, domaine Cru Classé, produit une boisson rarement dissociée de l’été : le rosé. Entretien ensoleillé avec la propriétaire, qui nous parle du rosé, de ses subtilités de couleur et de goût, et des associations aussi surprenantes qu’elles sont délicieuses entre mets et rosé…

Présentez-nous le domaine et le Château Roubine en quelques mots.

Valérie Rousselle : Château Roubine est un domaine Cru Classé depuis 1955. C’est une propriété qui est l’un des fleurons de l’appellation Côtes de Provence. Il a appartenu à l’histoire, puisqu’il est traversé par la voie romaine dite « Julienne », puis il a appartenu à l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. C’est un domaine qui a une histoire très forte et marquée, ce qui est la force des grandes propriétés provençales. J’ai initialement une formation dans l’hôtellerie, j’ai fait l’école hôtelière de Lausanne, puis après avoir travaillé pour le Groupe Barrière, j’avais l’intention et l’envie de revenir vers ma région d’origine – je suis native de Saint Tropez et varoise de cœur. En voyant Château Roubine en 1994, je suis vraiment tombée en amour pour ce domaine qui est magnifique. C’est un domaine d’un seul tenant, entouré de pins et de chênes, un écrin de vignes situé dans ce joli arrière-pays varois, entre Lorgues et Draguignan. Château Roubine c’est également 130 hectares de propriété et 92 hectares de vignes pour une production de 800 000 bouteilles.

(c) Château Roubine

Un petit éclaircissement pour les néophytes : d’où vient la couleur rose du rosé ?

VR : Le rosé n’est pas coupé. Le rosé est véritablement une couleur de vin tout à fait identifiée et il faut énormément de technique pour le réussir. On a tendance à croire que pour faire du rosé c’est assez facile ; le réussir est extrêmement difficile. Le rosé nécessite une grande maîtrise des températures. Le rosé est un vin qui est fait à partir de baies noires, qu’ils proviennent des cépages Syrah, Cabernet Sauvignon, Grenache, Tibouren ou Cinsault. Quand vous ouvrez un grain de raisin noir et que vous pelez la peau, vous voyez que la chair est blanche ou pâle à l’intérieur. La richesse d’un rosé, sa complexité, est obtenue par ce contact pelliculaire. Nous récoltons les baies à très basse température, de nuit, afin d’être obligatoirement en dessous de 17°C – nous avons par ailleurs été les précurseurs de la vendange nocturne. Plus c’est frais, meilleur est le rosé. A ce moment-là, nous allons fouler et écraser les baies et laisser en contact l’eau, les jus et le raisin. C’est cette macération pelliculaire qui va donner de la complexité au vin. Il faut noter que les pigments qui sont contenus dans la peau rouge se diffusent par l’action de la chaleur. C’est pour cela que vendanger la nuit permet d’avoir la complexité du goût sans avoir la couleur.

La couleur a-t-elle une importance pour le goût ?

VR : Absolument. On peut avoir une couleur pâle tout en ayant de la complexité. Travailler le vin à basse température lui permet d’avoir de la complexité. Il est vrai que dès lors qu’un rosé sera un peu plus soutenu en couleur, il sera plus fort en goût puisque la macération pelliculaire va être plus intense. Le rosé plus foncé sera peut-être moins léger, moins complexe, moins délicat, légèrement plus grossier. Ensuite, cela dépend des goûts. Les personnes qui préfèrent des rosés plus soutenus en bouche, ceux qui ont plus de corps, vont également préférer des rosés plus soutenus en couleur. Tout dépend aussi des marchés. Les marchés nordiques, par exemple, préfèrent des rosés aux couleurs plus soutenues. Ce rosé pâle est une tendance très Côte d’Azur, très Paris, très mode. C’est tendance. Les autres appellations productrices de rosé cherchent à copier la Provence, car celle-ci reste un modèle en matière de rosé. C’est en Provence que le premier rosé est né, nous en sommes vraiment les précurseurs, les Pères et les Mères du rose. C’est d’ailleurs la Provence qui a lancé la tendance et nous en sommes très fiers.

(c) Château Roubine

Le vin rosé est souvent associé à du vin bas de gamme. Le rosé a pourtant une appellation de Cru Classé ?

VR : J’ai la chance d’avoir été présidente, de 2005 à 2008, des Crus Classés. Nous étions 23 en 1955, nous ne sommes plus que 18 aujourd’hui. Nous représentons vraiment les locomotives de l’appellation. Les domaines Crus Classés ont été les pionniers en matière de progrès en vinification. Il n’y avait pas que des Crus Classés, mais ceux qui l’étaient faisaient partie de ces pionniers. Aujourd’hui ce sont les leaders de l’appellation qui restent Crus Classés, même si certains ne le revendiquent pas forcément. Les domaines de Crus Classés sont vraiment l’élite des vins de Provence.

En quoi le rosé est-il un vin associé à l’été ?

VR : Je pense qu’il l’est de moins en moins. On s’aperçoit qu’il est plutôt devenu une boisson à la mode. La grande tendance à présent se trouve dans les boîtes de nuit à Paris : les jeunes se mettent au rosé. Je trouve cela bien, car ça évite évidemment de s’orienter vers des spiritueux dont l’alcoolisation est plus forte et dont la consommation est bien plus dangereuse. La tendance, la mode maintenant, c’est de commander du rosé en boîte de nuit ou de prendre l’apéritif au rosé. Ça permet tout de même, d’un point de vue éducatif aussi, d’amener tout doucement les jeunes générations à comprendre le vin de manière simplifiée. Le rosé décomplexe un petit peu. On a moins besoin d’être expert pour apprécier un rosé. Dans l’esprit, ça ne veut pas dire que ce n’est pas compliqué ; cela décomplexe les gens qui veulent aborder l’œnologie. En démarrant par le rosé, cela semble plus facile. De même pour les dames : elles ont tendance à aimer le rosé car c’est à la fois le symbole d’une boisson de convivialité, de simplicité, d’amitié, de partage tout en ayant un champ très large d’alliances.

(c) Château Roubine

Justement, quelles sont, pour vous, les meilleures associations mets et vin rosé ?

VR : Le rosé est un vin qui peut s’associer à toutes sortes de cuisines, y compris les cuisines du monde, ce qui est également la tendance aussi un peu partout. Cela peut vraiment être très varié. Il y a des rosés qui seront des rosés « de plage », d’apéritif, que l’on peut apprécier à l’image du rosé piscine. Ils sont des rosés beaucoup plus légers, qui ont moins de complexité. Vous avez aussi des rosés de grande gastronomie, qui peuvent s’associer avec de la truffe, comme le fait mon voisin Bruno à Lorgues, qui sert mon rosé Tibouren Cuvée Inspire avec des truffes. Cela peut paraître surprenant mais ça tient très bien. Ce même rosé peut vraiment être servi sur de la belle gastronomie. On peut aussi imaginer un rosé Terre de Croix avec un très beau homard au poivre rose, ou avec un magret de canard et une sauce au miel, ou sur un cabri miellé. Avec le Terre de Croix on peut même aller sur du roquefort. Cela peut paraître troublant d’imaginer un rosé sur un fromage mais ça marche très bien ! Le Château Roubine, la cuvée traditionnelle, comme vin de plage peut être apprécié sur des tapas, sur des nems à l’apéritif, sur de la tapenade, sur des choses conviviales d’apéritif. On peut vraiment imaginer plein de choses et faire toutes sortes d’alliances avec le rosé.

Quel est votre dernier coup de cœur vinicole ?

VR : J’ai un coup de cœur, qui est un grand classique et également un clin d’œil, car j’ai eu la chance de goûter un Pichon Longueville de 1990, qui m’a fait penser à mon fils aîné Adrien qui aura bientôt 23 ans ! Cette dégustation s’est faite en très bonne compagnie, avec le meilleur sommelier du monde. J’ai un autre coup de cœur aussi pour un domaine qui m’est très cher, le domaine Ampelidae en Val de Loire. J’apprécie beaucoup son Sauvignon Bio, notamment le Millésime 2009 qui est vraiment d’une grande subtilité. En coup de cœur rosé, je vais prêcher pour ma paroisse, c’est la Cuvée Inspire Rosé, qui a été médaillé d’argent au Concours Général Agricole et que j’ai récemment eu l’occasion d’apprécier sur des truffes et sur des beignets de fleur de courgette. Ce qui était simplement délicieux ! Mais j’ai des coups de cœur très souvent !

(c) Château Roubine

Visuels : © Château Roubine

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Aurore Monot-Devillard : « On assiste à une féminisation du vin »

C’est un fait : le vin aujourd’hui n’est plus seulement réservé aux hommes. De la production à l’achat, sans oublier la dégustation, les femmes ont fait du vin leur passion et parfois même, leur métier.

Aurore Monot-Devillard est à la tête d’une exploitation vinicole familiale : le domaine Devillard. Copropriétaire avec son frère, elle dirige le Château de Chamirey, le Domaine des Perdrix et le Domaine de la Ferté. A l’occasion de l’inauguration de leur nouvel espace d’oenotourisme, Aurore Monot-Devillard revient sur son métier, sur son statut de femme dans un milieu majoritairement masculin et sur la féminisation évidente du vin. Entretien avec une femme de caractère…

Qu’est-ce qu’est le Domaine Devillard?

Aurore Monot-Devillard : Je suis copropriétaire de trois domaines en Bourgogne, le Château de Chamirey à Mercurey, le Domaine des Perdrix en Côte de Nuits et le Domaine de la Ferté à Givry. Nous avons créé une société de distribution mon frère Amaury et moi, Amaury et Aurore Devillard, qui distribue nos trois domaines familiaux et deux autres domaines avec lesquels nous sommes partenaires, le Domaine du Cellier aux Moines à Givry et le Domaine de la Garenne à Mâcon-Azé. Cela constitue l’ensemble des domaines dans cette partie production et distribution. Il n’y a pas de négoce, ce ne sont que des vins de propriété. La particularité pour tous ces domaines est qu’ils sont familiaux, même ceux dont nous assurons la distribution.

En quoi être une femme est-il un avantage ou un inconvénient dans la direction d’une exploitation vinicole ?

A M-D : Il y a en effet les deux ! Je dirais que c’est un milieu qui est encore assez masculin et qui est relativement machiste. Mais finalement, comme c’est un univers masculin, les hommes sont contents de voir autre chose toute la journée. Je vis ça plutôt comme une chance d’être une femme et copropriétaire. Sur certains marchés, ça amuse. En général, les gens disent que c’est assez rare d’avoir des femmes comme interlocuteurs étant donné que ce sont aussi des marchés assez machistes. Je ne pense pas que ce soit un inconvénient mais je ne cherche pas à en faire un atout non plus. Et je ne suis pas du tout féministe. Je ne suis pas dans toutes ces associations de « Femmes et Vins » (ndlr. comme Femmes et Vins de Bourgogne) et je ne milite pas. Se réunir entre femmes et parler de vin, pour moi le sujet n’est pas là. J’ai envie de m’amuser dans ce que je fais et le fait que je sois un homme ou une femme ne change rien pour moi.

Pensez-vous cependant apporter un regard et une touche féminine à votre production?

AM-D : Oui. Je dirais que dans la Bourgogne, ce sont des vins qui sont à la fois puissants mais aussi beaucoup dans la finesse et l’élégance. Je ne dis pas que ce sont des qualités foncièrement féminines mais nous évoluons dans un univers plutôt haut de gamme, puisque nous avons des domaines et la chance d’avoir de très beaux terroirs, beaucoup de premiers crus et la chance d’avoir quelques grands crus. Etant une femme, on joue peut-être sur ce créneau haut de gamme, sur le côté élégance et prestige, mais à mes yeux, ce n’est pas seulement féminin. Je n’ai pas le sentiment d’apporter une touche différente mais peut-être une regard différent. Je pense que personne ne vit les vins de la même façon, mais  cette différence vient-elle de la différence de sexe ? Je n’en sais rien. Je pense que tous nos regards sont différents mais qu’ils varient selon notre lieu d’origine, notre histoire, notre enfance, comment l’on se projette dans l’avenir. C’est sur que si je présente nos vins, ou que mon frère ou mon père les présentent, toutes les façons de les présenter seront différentes car nous avons tous des sensibilités différentes. Et cette sensibilité vient de notre histoire, de nos enseignements. Pour moi ce n’est pas le fait d’être une femme ou pas.


Pensez-vous que l’on assiste à une féminisation du vin, tant du côté de la dégustation que du côté de la production ?

AM-D : Oui, ça c’est sur! De plus en plus d’œnologues sont des femmes et elles sont en général assez brillantes. C’est peut-être aussi ce côté finesse, élégance et sensibilité. En général, les vins qu’elles apprécient sont des vins qui sont plutôt dans la rondeur, toujours avec de la puissance, mais avec de la rondeur, des choses peut-être plus fondues. En termes de dégustation, de consommation, c’est sûr, de plus en plus de femmes viennent déguster, aussi bien dans des salons professionnels que dans des salons publics type Grand Tasting. Il y a de plus en plus de femmes, de plus en plus de jeunes femmes aussi qui s’y intéressent, et je pense qu’il y a également de plus en plus de prescriptrices. Il nous arrive d’avoir des femmes, même les cavistes vous le diront, qui rentrent chez eux et qui disent « Voilà, nous avons une dîner ce soir, mon mari ne veut pas s’en occuper/n’a pas le temps/c’est moi qui m’en occupe, qu’est-ce que vous avez comme vin ? » Pour moi c’est assez nouveau, les femmes qui sont de plus en plus prescriptrices, par rapport à avant où c’étaient les hommes qui descendaient à la cave choisir le vin. Aujourd’hui ce n’est plus ça. Je vois une évolution qui s’explique peut-être par rapport à l’égalité des hommes et des femmes au sein d’un foyer. Il n’y a plus de choses uniquement réservées aux hommes ou aux femmes.

Quel est votre vin coup de cœur ? Et celui que vous conseilleriez aux amatrices ?

AM-D : Mon coup de cœur est une nouvelle cuvée qui je dois dire est magnifique. C’est le Château de Chamirey Mercurey Premier Cru « Les 5 » qui est un assemblage des plus belles pièces de nos cinq premiers crus de Mercurey rouge. C’est une bombe, c’est puissant, c’est fin, c’est racé, et c’est un Mercurey, et je défie quiconque d’aller à l’aveugle sur un vin de la côte Chalonnaise! Je suis aussi assez champagne, c’est peut-être très féminin aussi, et j’aime beaucoup le Billecart-Salmon rosé, qui est une marque de champagne réservé aux connaisseurs et amateurs de champagne mais qui fait des magnifiques champagnes. Et le rosé est juste hallucinant !

Nous sommes sur le blog des Rendez-vous des Arts Culinaires. Quelle est votre définition personnelle de l’art culinaire ?

AM-D : L’art culinaire c’est un art avant tout. D’ailleurs la Biennale d’Issy les Moulineaux de septembre 2013, exposition d’art, va avoir comme fil conducteur « L’art du goût, le goût de l’art ». Ça tourne autour de l’art et de la cuisine. Ça sera autour de quelques grands chefs étoilés. C’est intéressant puisque c’est une biennale artistique qui s’articule autour de l’art culinaire. Effectivement pour moi, la cuisine c’est un art, parce que c’est à la fois le visuel, le goût, l’odorat et je ne peux pas imaginer le vin sans cuisine ou une belle cuisine sans vin. C’est vraiment l’aspect parité cuisine-vin. Aujourd’hui on assiste à un véritable art quand on voit le dressage de certaines assiettes, et pas seulement dans des restaurants étoilés. On fait vraiment attention à tout, aussi bien l’esthétique de l’assiette que son contenu. La cuisine est donc un art.

Visuels : © Domaine Devillard

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